Craindre que écrire blesse l’autre

Souvent, on s’inspire de la vie d’un autre plutôt que de soi pour son inspiration. Cette source d’inspiration est néanmoins une interprétation lorsqu’elle devient une fiction.
D’un point de vue moral, on pourrait être retenu par cette autorité que l’on se donne d’écrire sur les expériences de vie qu’a connu l’autre.

S’inspirer pour écrire sur quelqu’un d’autre, dire une vérité telle qu’on la ressent, c’est prendre le risque que l’autre découvre ce que l’on pense réellement et peut-être plus qu’on ne voudrait qu’il ou elle ne remarque dans notre écriture.

Et puis, ce qui nous semble vrai selon notre point de vue pourrait être considéré comme des élucubrations par l’autre. Au reste, il peut avoir raison.
Car ce que l’on considère comme vrai a été travaillé par notre imagination, d’autant plus active lorsqu’on est un créateur. Ce dont on se souvient est forcément altéré.

Craindre de blesser l’autre

Blesser l’autre serait de mépriser ou de détruire son intimité. La peur de perdre l’autre est aussi présente. Perdre sa confiance, son respect et peut-être son amour.

Une crainte plus pragmatique serait celle de risquer une poursuite en diffamation. En fait, il y a vraiment de multiples raisons de crainte lorsqu’on s’inspire de la vie d’un autre pour déterminer ses personnages.

On ne peut pas écrire sans la peur rivée à l’esprit. Comment faire pour malgré tout écrire ?

écrireD’abord, il faut s’accepter comme auteur. Selon Pat Schneider, tous les auteurs sont confrontés à ce problème. Vous n’êtes pas seul. Aucun d’entre nous ne crée ex nihilo (à partir de rien).
Tout écrit implique une révélation de soi. Même si les faits réels de notre vie ne sont pas révélés, nous ne pouvons pas échapper au fait que l’écriture révèle les modes de fonctionnement de notre esprit. Tout écrit est, au moins, une autobiographie de l’imagination.

Cette imagination qui se nourrit de nos souvenirs. Or la mémoire est déjà de la fiction. Se saisir de l’intimité d’un autre afin de la retranscrire sincèrement chez un personnage, peut-être serait-il plus utile et plus dramatique d’utiliser une métaphore pour cela.

Pat Schneider souhaitait rendre hommage à son mentor. Elle a décrit son personnage à l’image de ce mentor en pensant qu’il en serait honoré. Bien sûr, il fut touché par l’intention mais dû réfuter cet hommage parce qu’il était trop intime.

Alors Pat Schneider a réinventé son personnage en en faisant un sculpteur modelant, de la forme amorphe de l’argile, la statue d’une vieille femme.
Ce fut sa métaphore pour expliquer que ce mentor avait appris à Pat Schneider à grandir en modelant en quelque sorte ce qui n’était encore qu’une sorte de néant en une femme devenue mâture.

La métaphore est moins blessante et tout autant si ce n’est plus significative que la réalité. Selon Pat Schneider, lorsque l’auteur abandonne les limites du fait, c’est inconsciemment qu’il bascule vers la métaphore et selon Schneider, c’est ce génie qui est en chacun de nous.
A travers la métaphore et l’imagination, nous pourrions atteindre une vérité plus profonde et rendre nos personnages plus efficaces dans le récit. Car la fiction est juste un autre moyen d’exprimer la vérité.

D’abord écrire

Écrivez sans vous soucier de choquer l’autre. Vous rectifierez plus tard. Car ce qui compte est que vous écriviez sur ce qui compte le plus pour vous. Ce dont vous vous souvenez le mieux.
Parce que si cela fonctionne ainsi chez vous, il en serait, selon Pat Schneider, à l’identique chez votre lecteur.

Lorsque nous écrivons sans crainte, nous tendons à écrire ce qui importe le plus. Parfois, nous sommes retenus dans cet élan comme s’il y avait des sortes de cases dans notre esprit, des espaces si vous me passez la comparaison qui ne nous appartiennent pas.
Nous en avons remis les clefs à l’autre par exemple, à celui qui inspire notre muse et que pourtant nous muselons par crainte de blesser l’autre.

Or ces espaces nous appartiennent. Notre vécu, toutes nos expériences, nos acquis depuis l’enfance nous ont privé d’une partie de nous-mêmes.
Cela peut prendre du temps mais si nous voulons écrire, nous devons nous libérer de l’emprise de l’autre sur nous. Nous devrions nous appartenir totalement.

Cela ne signifie pas que vous ne respectez pas les sentiments ou la vie privée des autres. Il faut seulement se sentir libre. Vous pourriez au reste dans les commentaires discuter de ce qu’est ce concept de liberté pour vous en tant qu’auteur.

Le premier jet de votre projet vous est totalement personnel. Normalement, vous ne le proposez pas à la lecture pour connaître les premiers avis. Pour Pat Schneider, il serait même essentiel de conserver par devers soi ce premier essai.

Un premier draft qui ne se partage pas

Vous pouvez écrire tout ce qui vous vient à l’esprit lors du premier brouillon, en quelque sorte. Vous réglerez les détails plus tard. Ce qui se sera écoulé de votre génie créatif libre, sans retenue, se sera comme une gemme qu’il faudra tailler pour protéger l’autre et vous protéger vous-mêmes.

Mais si vous vous inquiétez pour l’autre lorsque vous rédigez une première ébauche, vous ne pourrez pas libérer votre inconscient pour qu’il livre ses trésors. Car la peur s’est accrochée à vos tripes, vous êtes remplis de Je devrais peut-être… et des voix intériorisées de ceux dont la vie croise la vôtre.

Écrivez en toute liberté ; qu’il n’y ait pas d’obstacle entre le lieu du rêve (l’inconscient) et le conscient. N’hésitez pas à utiliser de vrais noms s’il vous vient à l’esprit des lieux réels et des détails d’action, de scène et de discours. Ne portez pas de jugement, ne faites pas d’omissions (vous jouerez avec la temporalité et l’ordre des événements lors de la réécriture ou du remaniement de votre plan), ne faites pas de corrections pour le moment.
N’oubliez pas qu’il ne s’agit que d’une première ébauche. Vous avez besoin de liberté pour saisir la passion, la musique et le mystère de l’écriture. Vous ajusterez plus tard celle-ci.

Un mûrissement

Si vous avez écrit une scène en totale liberté, laissez-là mûrir quelques heures et vous jetterez alors un regard plus objectif sur elle. Voici ce que propose Pat Schneider :
Quand vous y reviendrez, décidez : Dois-je me dissimuler ? Dois-je omettre ? Est-ce que j’ajoute des complications fictives ? Devrais-je attendre que ma mère soit morte pour publier ceci ? Devrais-je utiliser un pseudonyme au lieu de mon propre nom ? J’ai changé les noms, les lieux, j’ai décrit autrement, j’ai même changé le sexe d’un personnage, afin de dissimuler la source de ce que je décrivais.

Vous pouvez tout faire sauf détruire cette scène. La plupart d’entre nous parviendront à faire ce qui est bon pour leur vie et leurs relations. Si nous nous permettons un premier jet entièrement libre, nous créerons une écriture puissante à partir de l’étoffe de la mémoire et, au fur et à mesure des révisions de ce projet, nous protégerons les innocents (et les coupables).

Il est important de se demander si vous avez vraiment été au fond des choses. Si vous avez dit toute votre vérité comme vous l’avez d’abord perçue et ensuite ressentie. Cette vérité, c’est ce que votre cœur, votre soi le plus profond connaissent.

Citons encore Pat Schneider :
Ai-je suivi l’ombre portée que mon œil a vues en premier lieu ? Ai-je pris le temps de voir ce qui est à moitié caché dans l’ombre que dissimule l’aspect des choses ? Ai-je permis à mon inconscient de me donner ses métaphores, de me surprendre ? Ai-je dit la vérité qui est peut-être à l’opposé du chemin habituel que mon esprit emprunte forcé par l’habitude ?

Votre âme est à vous. Laissez vos mots, vos souvenirs, votre imaginaire se répandre sur la page. Vous déciderez plus tard ce qu’ils sont vraiment, ce qu’ils pourraient devenir et quand il sera le moment de les montrer à l’autre.
En conclusion, ne laissez pas la culpabilité prendre le dessus sur vous.

L’ÉLAN DRAMATIQUE DE L’HISTOIRE

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