On sent que ce sixième épisode de la saga est un film de monteur. En effet, Peter Hunt monta les cinq films James Bond précédents et fut réalisateur de seconde équipe sur trois films avant de devenir réalisateur pour ce film-ci. Il le voulait différent des autres long-métrages et engagea le directeur de la photographie Michael Reed et le monteur John Glen (qui réalisera lui-même plus tard les 5 films des années 80 de la saga, le seul réalisateur à avoir ce record). Malgré ces 2h22 qui pourraient faire peur de prime abord, le film est mené tambour battant avec un vrai sens du rythme. On pense notamment au montage rapide des séquences d'action et de combat qui font qu'elles ont très peu vieillies (à part les bruitages). On retiendra surtout deux séquences d'action magistrales faisant partie pour nous des meilleurs moments de toute la saga James Bond : la course-poursuite en ski et l'avalanche. L'esthétique du film est également à saluer : la photographie, les couleurs et les cadrages sont absolument magnifiques. Un effet de surimpression sur une fenêtre à la fin du long-métrage (assez expérimental à l'époque, surtout dans un film destiné au grand public) est aussi remarquable. Les décors sont grandioses également (voir la scène à l'intérieur d'une salle de machines de remontée mécanique). Le scénario fait affronter James Bond et son nemesis Ernst Blofeld sur fond de virus (sic). Dans le même temps, notre personnage principal ne veut plus être espion et trouve l'amour. Le thème de la généalogie (avec un personnage de professeur) est également important : on peut y voir quelque part une réflexion sur d'où vient Bond (des images des précédents opus sont égrenés dans le générique sans chanson) et où les producteurs veulent emmener le personnage. Après tout : nouvel acteur, nouvelle vision ?
Sean Connery, premier acteur à incarner 007, ne voulait pas renfiler le costume pour un autre volet. Les producteurs trouvèrent alors George Lazenby. Mannequin australien célèbre, mais acteur inconnu (à part quelques publicités), il prit des cours de diction pour effacer son accent natal. Pendant le tournage, il indiqua clairement que ce serait son seul film dans le costume de l'agent secret et refusa d'en tourner un autre. Il est donc le seul acteur à avoir incarné James Bond une seule fois. Même si on sent qu'il n'est pas à l'aise avec l'humour du personnage, il est parfait dans le rôle, avec son charisme et sa voix grave. Par ailleurs, il amène une certaine vulnérabilité au rôle, chose impossible pendant l'ère des films avec Sean Connery. Aujourd'hui, son interprétation est d'autant plus remarquable que la fragilité de l'agent du MI6 a continué à être explorée avec Daniel Craig. D'une certaine façon, sa vision du personnage était trop en avance sur son temps ( James Bond n'a pas peur et ne pleure pas, voyons !), ce qui explique peut-être les nombreuses critiques qu'il reçut. Face à lui, Diana Rigg, connue pour son rôle d' Emma Peel dans la fameuse série Chapeau melon & bottes de cuir ( The Avengers en anglais) interprète Tracy, la comtesse dont 007 va tomber amoureux. Forte tête et malheureuse, l'actrice est excellente et son personnage n'est pas du tout dans la caricature, contrairement à d'autres James Bond girls. Telly Savalas incarne l'ennemi juré de James Bond : Ernst Stavro Blofeld, le chef de l'organisation SPECTRE. L'acteur est parfait en manipulateur cruel. Il deviendra mondialement célèbre quelques années plus tard pour son rôle de Kojak dans la série du même nom. Plusieurs choses changent mais certains piliers restent : Bernard Lee campe encore M, le chef du MI6 (dans 11 films au total), Lois Maxwell reprend son rôle de Miss Moneypenny (qu'elle interprètera 14 fois) tout comme Desmond Llewelyn incarne de nouveau Q (il le fera dans pas moins de 17 films de la saga !). Pour l'anecdote : parmi les 12 anges de la mort se trouve Joanna Lumley, qui jouera plus tard dans Chapeau melon & bottes de cuir (comme Diana Rigg avant elle) et surtout qui deviendra Patsy Stone dans un autre série célèbre, Absolutely Fabulous.
John Barry compose de nouveau la musique (il le fait depuis le premier volet et continuera régulièrement ensuite) et c'est sans aucun doute le plus beau score de la saga, et celle dont Barry était le plus fier d'après ses propres dires. La magnifique chanson We have all the time in the world interprétée par Louis Armstrong deviendra un standard et sera repris par de nombreux artistes. Quand on est familier avec la mythologie James Bond, on ne peut s'empêcher de penser à d'autres épisodes de la saga. On pense ainsi que ce long-métrage a inspiré l'ère des films avec Pierce Brosnan : GoldenEye (1995) reprend ainsi la séquence d'ouverture avec deux voitures qui se suivent, symbole de rencontre entre deux personnages. Dans Au service secret de sa majesté, The world is not enough ( Le monde ne suffit pas) est sur l'armoirie de la famille Bond. Cette phrase deviendra le titre d'un autre film de la saga en 1999, justement en hommage à ce film-ci. Par rapport à l'ère Daniel Craig, on peut voir plusieurs parallèles avec Casino Royale (le premier film avec Craig dans le costume de 007), notamment la durée du film, le casino et plus particulièrement la volonté de créer une véritable histoire d'amour pour James Bond, que ce soit avec la comtesse Teresa 'Tracy' di Vicenzo ( Diana Rigg) ici, ou avec Vesper Lynd ( Eva Green) dans le long-métrage avec Craig. On peut aussi noter de façon générale dans les films avec le dernier Bond en date le retour de l'organisation SPECTRE, le plus puissant syndicat européen du crime dans l'univers créé par Ian Fleming. En effet, les ennemis du James Bond campé par Craig y sont en réalité affiliés.
D'abord mal reçu par la critique, ce sixième volet a depuis été réhabilité comme l'un des meilleurs de la saga. Même les réalisateurs Steven Soderbergh et Christopher Nolan le citent comme le meilleur film James Bond pour eux. L'influence d' Au service secret de sa majesté est particulièrement notable dans Inception avec les séquences dans la neige et certains décors rotatifs. Quelques bémols sont à noter : certaines blagues qui ne marchent pas, un certain sexisme lié à l'époque et au personnage lui-même (lire Playboy par exemple ou faire des avances trop tactiles à Moneypenny), les bruitages dans les scènes de combat qui sont mauvais. Certains déploreront le manque de gadgets mais pour nous c'est au contraire l'un des points forts de ce volet. Au service secret de sa majesté a donc très bien vieilli (contrairement à d'autres épisodes) et reste l'un des sommets de la saga, notamment pour sa vision du personnage, sa fin, son histoire d'amour, son montage rythmé, le grand soin apporté à la réalisation, à la photographie et à l'esthétique du film, et pour ses superbes séquences d'action. Alors, comme Sondre Lerche le chante dans son morceau Just like Lazenby, donnez une seconde chance à cet épisode : James Bond ou pas, il est un excellent film à lui tout seul !
Titre Original: ON HER MAJESTY'S SECRET SERVICE
Réalisé par: Peter Hunt
Casting : George Lazenby, Diana Rigg, Telly Savalas ...
Genre: Espionnage, Action, Policier, Thriller
Sortie le: 12 décembre 1969
Distribué par: United International Pictures (UIP)