[C’ÉTAIT DANS TA TV] : #21. Girls

Par Fuckcinephiles

Copyright Home Box Office (HBO)


Avant de devenir des cinéphiles plus ou moins en puissance, nous avons tous été biberonnés par nos chères télévisions, de loin les baby-sitter les plus fidèles que nous ayons connus (merci maman, merci papa).
Des dessins animés gentiment débiles aux mangas violents (... dixit Ségolène Royal), des teens shows cucul la praline aux dramas passionnants, en passant par les sitcoms hilarants ou encore les mini-séries occasionnelles, la Fucking Team reviendra sur tout ce qui a fait la télé pour elle, puisera dans sa nostalgie et ses souvenirs, et dégainera sa plume aussi vite que sa télécommande.
Prêts ? Zappez !!!





#21. Girls (2012 - 2017)
New York est la ville où on se sent chez soi quand on est de nulle part” Melissa Bank


Girls a débuté sur HBO le 15 avril 2012 et s’est terminée cinq ans plus tard, à un jour près. Les péripéties d’Hannah et ses ami.e.s ont ému autant qu’elles ont agacé les spectateurs. Elles ont révélé au passage Adam Driver, qui a depuis interprété Kylo Ren dans les derniers Star Wars et a été nommé aux Oscars 2020 pour Marriage Story. C’était dans ta télé nous permet aujourd’hui de revenir à une époque qui n’est encore que la veille, pour aborder une série dont les sujets raisonnent encore avec l’actualité.

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Hello, New York !
C’est à Greenpoint, au cœur de Brooklyn, que Lena Dunham place la majeure partie de sa série Girls. Ce quartier situé à New-York regroupe, selon sa page Wikipédia, une forte communauté polonaise, une poignée de jeunes branchés, de cafés et de galeries d’art dans des entrepôts réaménagés. Tout comme la majorité des habitants de Greenpoint, les héroïnes de la série sont blanches, elles sont également issues de la classe moyenne mais, comme beaucoup de jeunes femmes au début de la vingtaine, elles sont loin d’être riches.

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Girls saisit ses personnages en plein vol, à un tournant de leur vie qui n’a rien d’extraordinaire et expose d’emblée sa volonté de faire d’un non-évènement quelque chose d’insurmontable, comme le semblent souvent, à cet âge-là, les problèmes d’adultes. Hannah et Marnie partagent un petit appartement en colocation, loin du grand loft auquel les séries américaines ont pu nous habituer. Hannah voit son humble confort menacé lorsque son employeur refuse de rémunérer son stage et que ses parents lui coupent les vivres. Marnie est assistante dans le domaine artistique mais cherche encore sa voie. Shoshanna, étudiante relativement plus aisée voit sa cousine Jessa, elle-même amie d’Hannah, débarquer dans son grand studio sans crier gare. Cette sensation de débrouille dans une proximité constante est à la fois une idée que l’on peut se faire de New-York et le moteur de Girls. Il n’y a pas d’espace dans la mégalopole, tout le monde s’entasse et les cercles sociaux deviennent vite étouffants. Les séries présentent, par nécessité scénaristique, des coïncidences extraordinaires, des personnages toujours liés à un autre. Girls n’échappe pas à cette obligation mais transforme ce cercle social en quelque chose d’étouffant, d’aliénant. Les personnages se croisent systématiquement dans la rue, se retrouvent dans le même café et, lorsqu’ils se déchirent, se voient obligés de quitter, le temps d’un épisode, les tumultes de la ville.

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Totale transparence
Lena Dunham est sans cesse controversée. La jeune femme n’a pas la langue dans sa poche et poste souvent, sur les réseaux sociaux, des réflexions plus ou moins intelligentes. Munie d’un ego qu’elle ne cache pas et d’un corps un peu trop dodu pour plaire à Hollywood, Lena ne s’impose jamais – ou peut-être pas assez de limites. Sa série est à l’image de sa vie, elle joue Hannah, c’est sa meilleure amie qui lui a inspiré le personnage de Marnie et elle est copine avec Jemima Kirke, l’interprète de Jessa. Girls est une part importante de Lena Dunham, de ses réflexions, de son ambition démesurée (Hannah déclare vouloir être la voix d’une génération) et même de son corps, dont la nudité est amplement exposée. La série ne s’embarrasse pas d’une pudeur qui masquerait ses principales qualités. Elle s’attache à montrer ses héroïnes dans de vieilles culottes laides, mangeant compulsivement de la glace pour oublier un chagrin, se ridiculisant après une prise de drogue ou encore explorant tant bien que mal les limites de leur sexualité.

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Le corps de la femme, totalement désacralisé, est objet de plusieurs épisodes. Dans le deuxième épisode de la saison 1, Jessa, qui multiplie les conquêtes avec une fréquence presque effrayante, se voit obliger d’avorter et, dans le troisième épisode, toujours de la même saison, Hannah apprend qu’elle est porteuse de papillomavirus. Le sexe est, dans Girls, un échange comme un autre, dont la caméra ne soumet jamais les filles – ce qui n’est pas exact avec les personnages masculins. Les “sexfriends” et petits-amis se font parfois un peu trop pressants, tentent des choses sans le consentement total de leur partenaire et autres pratiques douteuses toujours malheureusement trop courantes dans la vraie vie. Girls met souvent mal à l’aise, par son exploration d’une vie intime parfois honteuse, parfois joyeuse ; mais elle permet aussi de trouver un écho à ses propres expériences.

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Les Garçons
Girls n’a rien de girly, pas même le nom qui, dans son contexte, s’affiche comme étant uniquement un fait sociétal. Si ses héroïnes, rassemblées autour de la détestable et géniale lead Hannah, sont de genre féminin, les garçons ne sont pas en reste. Au départ simple love interest, ils dessinent tous leur propre caractère, de Ray en situation précaire qui rêve de refaire le monde, à Adam qui fuit ses addictions en les remplaçant par une autre, en passant par Laird, le voisin junkie qui s’avère fort aimable. La multiplication des figures insiste sur la volonté réaliste de la série, les stéréotypes sont présents mais une histoire se cache derrière chaque image confortable, augmentant les arcs narratifs autour d’eux.

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Lena Dunham décrivait sa série comme une thérapie sur l’amitié féminine. Les filles de Girls sont jalouses, trop émotives, sournoises, agaçantes, égocentriques, égoïstes. Les garçons sont plus attachants et créent progressivement leurs propres épisodes, dédiés rien qu’à leur développement. Les filles révulsent, les garçons sont plus attirants, les filles sont les personnages torturés, bourrés de défauts, les garçons sont là pour les soutenir, avec une pureté qui leur est propre. Sous sa peinture peu flatteuse du genre féminin, Girls déconstruit et reconstruit une identité qui s’évoque et se révoque à la fois. Contrairement à la construction progressive de la sororité effectuée dans un bon nombre d’œuvre qui se destinent aux adolescentes, Girls respecte sa volonté réaliste et s’adresse à de jeunes adultes. Les jeunes femmes se soutiennent au départ mais ce support implose petit à petit, les défauts que l’on inculque aux filles reprennent le dessous pour une gravité moindre. Ce portrait correspond mieux à une triste réalité qu’un idéal fictionnel et rassure les filles dans l’exposition de leurs défauts. C’est sans doute par cette création d’une forte identification que l’on finit par adorer autant par détester les personnages si bruts que sont ces girls.


Copyright Home Box Office (HBO)


La série possède un sens admirable de l’équilibre puisque les personnages masculins réussissent à parler féminité sans pour autant être réduits au rôle de faire-valoir. L’existence de chacun est explorée mais sous un mantra constant : “mesdames, vous avez le droit d’être imparfaites”.

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« Bed’s getting cold »
Girls déçoit parfois mais réconcilie toujours, peut-être grâce à des émotions bien placées, qui finissent toujours par rappeler une tranche de vie personnelle. La série a également été précurseur de bon nombres de sujets, à commencer par les abus sexuels perpétués par des hommes célèbres. Dans un épisode, Hannah se retrouve dans le lit d’un homme déjà objet d’accusation de nature sexuelle, sans trop savoir si elle avait vraiment envie d’y être. La zone grise devient de plus en plus persistante et foncée, jusqu’à la fin où Hannah croise une floppée de jeunes femmes entrant dans l’immeuble – de nouvelles victimes. 
En somme, le show abordait déjà le pire comme le meilleur de la vie des horripilantes, impitoyables et attachantes post-adolescentes new-yorkaises. Devenues jeunes adultes, elles tentent, jusqu’au bout, de fuir un univers toxique et de se trouver au passage.

Copyright Mark Schafer / HBO

Le final est en accord avec le reste : après quelques beaux élans romanesques, la tension retombe, la réalité reprend le dessus et la quête constante du bonheur se doit de réapparaître. Cet univers rêche et triste l’est soudainement moins lorsqu’il nous permet de tirer la conclusion suivante : quoiqu’il arrive, nous ne sommes jamais seules.


Manon Franken