🎬 Réalisateur : David Robert Mitchell
🎬 Casting : Andrew Garfield (Silence), Riley Keough, Jimmi Simpson, Callie Hernandez, Jeremy Bobb
🎬 Genre : Thriller, Comédie
🎬 Sortie : 8 août 2018 (France)
Synopsis : À Los Angeles, Sam, 33 ans, sans emploi, rêve de célébrité. Lorsque Sarah, une jeune et énigmatique voisine, se volatilise brusquement, Sam se lance à sa recherche et entreprend alors une enquête obsessionnelle surréaliste à travers la ville.Après avoir réinventé le genre de l'horreur avec son très réussi It Follows, David Robert Mitchell nous est revenu plus en forme que jamais avec Under The Silver Lake, en 2018, une œuvre injustement boudée et qui deviendra pour sûr une référence dans les futures années.
It Follows était déjà un long-métrage à part parmi toutes les productions horrifiques lambdas que l'on nous ressert jusqu'à épuisement. Ce petit OVNI, paru en 2015 chez nous, reprenait les thématiques de son premier film ( The Myth Of The American Sleepover) et se jouait des codes du genre afin d'aborder la sexualité ainsi que le passage à l'âge adulte sous un angle novateur. Le long-métrage démontrait aussi une véritable maîtrise technique de la part du jeune artiste et rappelait même par instant la virtuosité d'un John Carpenter, à l'époque de The Thing. Ce petit succès critique et commercial (14,5 millions de $ au box-office mondial pour un budget dérisoire de 2 millions) acheva ainsi de faire passer David Robert Mitchell comme un cinéaste à suivre.
On aurait pu penser que ledit réalisateur se reposerait sur ses acquis après un tel tour-de-force, mais il n'en est finalement rien. Ce faisant, avec Under The Silver Lake, le jeune prodige effectue un virage à 180° par rapport à son précédent travail. Un virage qui, malheureusement, fut très mal prit par la presse américaine lors de sa première projection au festival de Cannes 2018. Suite à cet accueil frileux, le film hérita d'une sortie tardive et d'un marketing très timide, ne faisant pas honneur à toute la richesse du petit bijou de David Robert Mitchell.
Il est donc question ici de Sam (Andrew Garfield), un trentenaire cherchant la célébrité et surtout, un sens à sa vie. Alors qu'il fait la connaissance de sa belle et fascinante voisine (Riley Keough), cette dernière disparaît mystérieusement du jour au lendemain. Le jeune homme se lance alors à sa recherche dans un Los Angeles labyrinthique et halluciné.
Dès les premières minutes, un élément rappelle évidemment It Follows : la mise en scène brillante de Mitchell. Celui-ci confirme l'essai haut-la-main en proposant une continuité logique au style qu'il avait bâti avec ses deux premières œuvres. Son style poseur, sa méticuleuse conception des plans, ses travellings spectraux et la sublime photographie de Mike Gioulakis permettent de bâtir une fresque hétérogène, qui explore différents genres à la fois, pouvant passer du comique burlesque jusqu'à une scène d'horreur viscérale.
Une dichotomie qui se retrouve aussi dans la manière avec laquelle le cinéaste filme sa Cité des Anges unique et troublante, où chaque coin de rue cache des mystères encore plus étranges que les précédents. De son mystérieux tueur de chiens en passant par ce vieux compositeur hors du temps ou ce fascinant lac argenté, le Los Angeles sublimé par Mitchell est un personnage à part entière, que l'auteur se plaît à dépeindre sous toutes les coutures. Encore une fois, les références sont là aussi nombreuses et la parenté avec l'oeuvre de David Lynch saute notamment aux yeux.
En effet, difficile de ne pas penser Mulholand Drive, qui, au-delà de sa mise en scène aux mouvements fantomatiques et de ce pitch aux inspirations " film noir ", se rapproche du film de Mitchell par sa volonté de démanteler la figure légendaire de Los Angeles, en explorant ses plus bas tréfonds. Le contrôle que possèdent les riches personnalités sur la ville de Under The Silver Lake fait de ce fait écho à la communauté sécrète manipulant le monde Hollywoodien dans l'œuvre de Lynch, tandis que la quête de vérité de Sam rappelle celle Rita, cherchant à trouver sa véritable identité.
Le personnage de Sam s'inscrit lui aussi dans une lignée très référencée, dont l'auteur est conscient. Loser magnifique dans la veine du Dude ( The Big Lebowski) et du Doc ( Inherent Vice), Sam (Andrew Garfield dans un de ses plus grands rôles) regroupe toutes les caractéristiques typiques du jeune Américain perdu dans sa vie. Là où réside l'intelligence de David Robert Mitchell vient de l'ambiguïté avec laquelle il manipule son personnage et ses actions. Autant égoïste et pervers que bien intentionné, le jeune adulte navigue toujours en dehors du manichéisme. Sur cet aspect, Sam ressemble d'ailleurs plus au Jeffrey Beaumont de Blue Velvet, toujours coincé entre le bien et le mal et recouvert par un voile mystérieux qui floute certaines de ses actions (toute la sous-intrigue du tueur de chien, notamment).
Toutefois, par rapport aux exemples cités plus haut, Under The Silver Lake aborde un sujet tout autre : notre rapport la pop-culture.
Loin du simple melting-pot de références en tout genre, le film de David Robert Mitchell sait justement utiliser celles-ci pour dénoncer une société américaine rongée par l'admiration qu'elle porte à tous ces artistes et œuvres mondialement connues. La culture populaire s'est emparée de cette ville malade et se greffe dans tous les corps qui y pullulent. Qu'elle soit dans un cimetière dans lequel on piétine la tombe de Hitchcock ou dans une chambre où deux adultes entretiennent un rapport sexuel désabusé, elle se construit petit à petit comme le véritable antagoniste, invisible et tapi dans l'ombre, stimulant toutes les obsessions des protagonistes.
Même le subconscient des personnages semble nourri par celle-ci. Le rêve devient l'espace de réincarnation des grandes figures, à l'image de Marilyn Monroe qui revient d'entre les morts à travers le visage de Riley Keough, et finit même par se mêler au réel, lorsque la couverture du Playboy qui fascinait tant Sam se matérialise sous ses yeux. Cependant, à force de creuser, les réponses que cherche le personnage d'Andrew Garfield ne sont, quant à elles, pas vraiment celles auxquelles il pouvait s'attendre.
[Attention, début de la partie spoilers !]
Dans le regard lucide que jette le cinéaste sur cette industrie du divertissement, la scène du compositeur est à n'en pas douter le pinacle de sa démarche. Séquence intemporelle et unique, elle montre surtout une forme de radicalité que l'on ne voit que trop rarement de nos jours. Lorsque le vieil homme interprété par Jeremy Bobb révèle à Andrew Garfield qu'il est l'auteur de tous les plus grands titres musicaux de l'Histoire, c'est tout le mode de pensée du personnage principal qui vole en éclats. Tous les sens cachés qu'il percevait dans les objets qui l'entoure ne sont finalement le fruit que d'un seul vieillard désintéressé et usé par le temps, qui est payé pour écrire ses œuvres et recycle à tout-va. Que lui reste-t-il alors ? Les simples miettes d'une signification qu'il ne pourra effleurer du bout du doigt.
Your art, your writing, your culture, is the shell of other men's ambitions. Ambitions beyond what you will ever understand.
Dans une industrie cinématographique où la plupart des réalisateurs se convertissent en yes-men (comprendre " homme à tout faire ") à la solde des producteurs, difficile de ne pas voir Under The Silver Lake comme une réprimande sur ce sont devenus (ou ont toujours été ?) le septième art et la culture populaire, de manière générale : un empire désincarné et sans passion aucune. Pour Sam comme pour le jeune cinéaste américain, la réponse, le véritable " sens " de la vie semble finalement se trouver dans le réel, dans notre simple quotidien et il suffit parfois de jeter un seul coup d'œil vers le balcon d'en face pour en comprendre toute la richesse.
[Fin des spoilers !]La pop-culture nourrit donc entièrement le récit et ses avancées, chaque nouvelle péripétie les enfonçant encore plus profondément dans les mystères de celle-ci. La structure narrative que déploie David Robert Mitchell peut donc aisément laisser de côté tant elle s'emploie à livrer, mélanger et tordre une dose incessante d'intrigues et d'informations qui ne trouveront parfois aucune résolution. Seulement, ce serait oublier tout ce que Under The Silver Lake nous a dit jusque-là : la réponse n'est jamais vraiment à la hauteur des attentes qu'elle suscite. En cela, le long-métrage de Mitchell demande un certain investissement de la part de son audience. Il faut accepter de s'y perdre, de ne pas concevoir tous les symboles que le film nous présente et de simplement vivre, ressentir au plus profond de son être cette expérience hallucinatoire.
NoteNote : 8.5 sur 10.
8,5/10Objet étrange et disparate, expérience hallucinante et hallucinée, Under The Silver Lake est sûrement l'un des seuls soubresauts que le cinéma américain nous ai donné de voir durant la décennie passée. Un regard lucide sur la décadence de la culture populaire duquel David Robert Mitchell rappelle qu'il est l'un des derniers auteurs américains capables d'offrir un cinéma radical, qui sort des sentiers battus et joue de ses inspirations avec force et adresse.