Sortie nationale le 5 août 2020
Dans un Madrid caniculaire délaissé par ses habitants, Eva (Itsaso Arana) s’est résolue à passer le mois d’août dans cette ville qui l’a vue naître et qu’elle n’a pas quitté. Depuis l’appartement qui lui a été prêté et dans les rues de la capitale espagnole, elle se laisse engloutir par l’atmosphère de solitude qui caractérise la période estivale. À la manière des œuvres d’Hong Sang-soo, Eva en août se construit d’abord comme une errance mélancolique et poétique, dans un espace urbain et quotidien, qui redessine les frontières entre trivialité et existentialisme. Jonás Trueba façonne une dramaturgie purement estivale montrant la quintessence de la modestie et de la simplicité de cette « époque parfaite pour être [soi]-même, plus que jamais, et pour faire les choses mieux que jamais » comme le déclare son protagoniste. En ne répondant pas à une logique arbitraire du spectaculaire ou de l’efficience, le cinéaste capte un degré de réalité supérieur où, sans hiérarchie, la rencontre d’un ancien amant fait autant sens qu’un faisceau de lumière traversant l’espace reflété par l’écran d’un téléphone portable.
Cette non-dichotomie entre action et non-action participe à la suspension de la temporalité, propre au mois d’août madrilène, et redonne au présent sa puissance et son mysticisme. C’est à travers les infinies possibilités du présent que surgit la beauté, voire la grâce, qui parcoure Eva en août de part en part – sans s’appesantir du passé de son héroïne ou sans nécessairement lui construire artificiellement un futur. L’œuvre de Jonás Trueba est un « acte de foi », pour reprendre les mots du carton introductif, qui induit une croyance quasi-dogmatique dans l’Été et les hasards qui en sont les disciples. La souplesse des comportements, moins enclins à la pression sociétale, et les mouvements des cœurs, plus enclins au fantasme de romance, participent à l’éclosion d’une femme dont le paysage mental fleurit et prospère au contact de rencontres imprévues ou de retrouvailles amères. Eva en août établit un jeu de résonnance entre les différentes solitudes de ses personnages, trouvant dans leur fragilité et leurs incertitudes une tendresse caractéristique de l’être humain loin du cynisme contemporain rendant « difficile [le fait] d’admirer les gens » comme le révèle Agos (Vito Sanz).
Évoquant les œuvres de Rohmer et particulièrement Le Rayon Vert (1987), Eva en août en contourne pourtant la dialectique afin de proposer un cheminement spirituel distinct. À l’inverse du personnage de Delphine chez Rohmer, Eva enracine doublement son émancipation mentale au cœur même de son territoire. D’une part, il s’agit de l’affranchissement (irréalisable) de son environnement madrilène qu’elle a toujours connu et qui l’empêcherait d’être une « vraie personne ». Au cœur du long-métrage, les personnages rassemblés par Eva au bord de la rivière discutent de la nécessité de s’extirper de son lieu de naissance et de ses proches pour pouvoir se connaître réellement. Or, cette « vraie personne » qu’Eva souhaite atteindre ne pourra advenir, dans son cas, qu’à travers le réenchantement de son propre quotidien et sa courageuse volonté de saisir l’intégralité des signes laissés par le destin. D’autre part, ce récit initiatique n’opère que par et pour Eva – au sein même de son propre paysage mental. Les personnages secondaires, ni pédagogues ni moralisateurs, servent de support, au gré des accords ou des désaccords, à la trajectoire individuelle et émancipatrice d’Eva. Comme le spectateur, ils sont le réceptacle de la croyance solaire d’Eva en la vie et en son infinie possibilité.
Écrin d’un rapport fantasmé à l’été, Eva en août trouve sa beauté dans la place suprême qu’il accorde au personnage d’Eva. Conçue comme depuis les bribes d’un journal intime dont les dates s’affichent à l’écran, la mise en scène de Jonás Trueba s’efface de manière absolue derrière son protagoniste, qui dans une dernière séquence parvient – par le pouvoir performatif de ses mots – à accomplir un miracle. Ode à la lumière, Eva en août remémore au spectateur qu’il faut jouir du présent et de son incommensurable richesse.
Le Cinéma du Spectateur
☆☆☆☆ – Excellent