Martha Alderson dit que l’intrigue est faite de trois éléments :
- Un développement émotionnel des personnages,
- Une action dramatique,
- Un thème
Il est un fait en fiction : la plupart des personnages veulent quelque chose. Pour que ce quelque chose s’accomplisse ou se produise, les personnages devraient vouloir céder quelque chose en échange.
L’action dramatique est constituée des différentes actions du personnage qu’il devra accomplir pour tenter de réaliser son objectif. En effet, en fiction, les personnages se fixent des objectifs et que la fonction d’un personnage soit protagoniste ou antagoniste, il a cet objectif et il ne peut y renoncer car une fois engagé dans l’intrigue, il ne peut faire marche arrière.
La mise en intrigue, c’est un point de non retour.
Le thème est un sujet plus universel que les passions qui animent un personnage. Lorsque l’action dramatique change le personnage au fil du temps de l’histoire, cette histoire devient thématiquement significative.
L’émotion au cœur de l’intrigue
Millénium d’après le roman Les Hommes qui n’aimaient pas les femmes de Stieg Larsson peut être reconstitué selon les lignes dramatiques telles que les conçoit la théorie narrative Dramatica. Pour Martha Alderson, la ligne dramatique (Throughline) qui fascine le plus dans ce récit est celle du personnage principal Lisbeth Salander.
Son impact sur les lecteurs semble étrange compte tenu du fait qu’elle manifeste si peu ses émotions et qu’elle partage si peu d’elle-même avec les autres personnages. Les contours apparents de sa personnalité paraissent singulièrement dépouillés.
Vers la fin du premier acte, Lisbeth se voit attribuer un nouveau tuteur qui prend le contrôle de ses finances et établit que dorénavant, lorsqu’elle a besoin d’argent, elle doit s’adresser à lui pour en obtenir. À ce moment-là, Lisbeth perd le contrôle de sa vie et dépend d’un homme en qui elle n’a pas confiance.
Cette scène constitue l’incident déclencheur de la trajectoire personnelle de Lisbeth. La crise au cœur de la ligne dramatique de Lisbeth frappe en plein milieu de l’histoire, lorsque le nouveau tuteur intensifie son comportement, passant au viol brutal et sadique de Lisbeth.
Lisbeth comprend que personne ne va la sauver et qu’elle est la seule à pouvoir se faire justice et faire justice à d’autres femmes comme elle.
Dans la scène de crise où Lisbeth est brutalisée par son gardien, Larsson préfigure ce qu’il va arriver (l’intrigue principale ou Overall Story Throughline de la théorie narrative Dramatica, c’est-à-dire par quoi tous les personnages de l’histoire sont concernés) se concentre sur la traque d’un tueur en série qui tue des femmes depuis des années) et donne également au personnage de Lisbeth la lucidité nécessaire à sa transformation ultime.
Elle finit par déjouer le tueur en série en exploitant son véritable pouvoir (qu’elle possédait déjà mais dont elle n’avait pas conscience). Elle se montre transformée au moment du climax (la confrontation ultime), grâce à chacune des scènes d’action dramatiques auxquelles elle a survécu plus tôt dans l’histoire.
La signification thématique de cette histoire se retrouve dans la trame du développement du personnage de Lisbeth, analyse Martha Alderson : une personne, aussi jeune et blessée soit-elle, est capable, avec ruse et patience, d’empêcher des hommes malfaisants de faire du mal aux femmes.
Une action dramatique
Tout au long de l’intrigue, le protagoniste se fixe des objectifs pour lui-même. Ces buts intermédiaires ordonnent l’action dramatique et force le personnage à aller de l’avant. Le protagoniste est un personnage proactif. Il faut bien qu’à un moment donné, initié par un événement, il agisse et cesse de subir.
Un objectif en soi ne crée pas une action dramatique. Les obstacles qui empêchent le protagoniste d’avancer vers son but sont conflictuels et ainsi dramatiques. C’est particulièrement vrai lorsque le personnage risque de perdre quelque chose d’important s’il ne parvient pas à atteindre son but. Ce qui implique l’existence légitime d’un enjeu.
Martha Alderson nous propose un brainstorming pour comprendre ce que représente cet objectif pour le personnage principal :
- Qu’est-ce que le personnage principal désire le plus ? Il pourrait être intéressant de distinguer entre désir et besoin. Le désir est effectivement l’objectif. C’est quelque chose d’extérieur au personnage.
Alors que le besoin est davantage intime. C’est comme un défaut, une faille dans la personnalité du personnage et que celui-ci doit combler s’il veut être vraiment lui-même, aller à la rencontre de sa véritable nature qui est déjà en lui. Il faut creuser en soi, abattre nombre de voiles avant de découvrir qui l’on est vraiment car nos expériences passées recouvrent souvent de leur amertume notre propre vision du monde et notre place dans celui-ci. - Qu’est-ce qui importe vraiment au personnage ? C’est une définition acceptable de l’enjeu. On pourrait aussi se demander ce que le personnage peut gagner ou perdre et si cela a une importance pour lui. En effet, pourquoi lutter pour des choses qui n’en valent pas la peine ?
L’enjeu est un élément dramatique important qui participe à la compréhension que nous aurons du personnage. Cet élément nous rapproche de ce qui le préoccupe et crée une sympathie qui pourrait devenir de la compassion. - Qu’est-ce qui motive le personnage avec autant de force ? La motivation est le Pourquoi et le Comment de l’enjeu. Qu’est-ce qui motive cet homme à prendre tous les risques pour sauver sa femme prise en otage ? Parce qu’il est motivé par l’amour qu’il lui porte.
Et cette attitude est symétrique ou réciproque. Pourquoi montre-t-il si peu d’enthousiasme à négocier la libération de sa femme ? Parce que le couple est désuni depuis bien trop longtemps maintenant. Développer aussi comment on en est arrivé à une telle situation peut aussi impliquer davantage l’intérêt du lecteur pour les personnages et partant pour le récit tout entier. - Vers quoi le personnage se dirige-t-il activement ? nous demande Martha Alderson. Déjà, nous pouvons supposer que le personnage est dynamique. Si le personnage principal est aussi protagoniste, il est entendu qu’il est proactif. Mais il me semble que ce vers quoi il se dirige vraiment, c’est lui-même.
Comme hypothèse de recherches, je peux me référer à Dramatica et à ce qu’elle nomme la Main Character Direction qui décrit l’évolution de la personnalité du personnage. Ce vers quoi il se dirige et qui, en fin de parcours, l’aura transformé intérieurement. - Qu’est-ce qui maintient le personnage résolument décidé à aller jusqu’au bout, concentré sur son objectif, engagé physiquement et moralement lorsque la situation devient difficile ?
A l’évidence, il y a là un impératif. Pourquoi cet impératif ? Certes, à un moment précis de l’intrigue, le personnage aboutit à un point de non retour. Mais qu’en est-il alors de son libre-arbitre ? Pour un tel personnage proactif, cela me semble paradoxal.
Un moyen possible serait de s’assurer que le personnage principal a toujours quelque chose à perdre. Pour lui, quelque chose d’important est en danger. Et ce risque peut avoir un impact énorme, en intensifiant le conflit, en ajoutant davantage de tension corrélée au suspense, en révélant de nouvelles vérités sur vos personnages, en stimulant les émotions. Peut-être serait-il intéressant à rendre clair pour le lecteur les conséquences d’un échec pour le personnage principal. Non pour lui mais pour ceux qui lui sont proches, ceux auxquels il tient. - Que faut-il faire, sauver, protéger, résoudre, réparer, réaliser, comprendre, aider que le personnage et lui seul peut faire ? Ainsi vous fixez un objectif pour votre personnage. Cet objectif est l’essence de l’intrigue. Le conflit est un moyen de donner chair à l’intrigue.
L’objectif établit un désir. Ce qui importe cependant est que par ce désir (qu’il l’accomplisse ou non), le personnage satisfera un besoin. Il peut échouer sur son désir. Il sera néanmoins profitable pour l’histoire et satisfaisant pour le lecteur que le personnage principal comble son besoin. - Quelle stratégie le personnage principal mettra en place avec ce désir pour visée ? Si je me réfère à Dramatica, je dirais que le type Conceptualizing, c’est-à-dire l’élaboration d’une stratégie pour parvenir à ses fins, est excellent pour comprendre cette question.
Le thème
Un récit, c’est l’histoire d’un personnage qui change (ne serait-ce qu’il se renforce dans ces convictions) ou bien qui transforme radicalement sa personnalité ou son point de vue sur le monde. Ce potentiel de croissance reflète un sens. Ce pouvoir signifiant reflète une vérité.
La signification thématique d’une histoire montre ce à quoi correspondent tous les mots de chaque scène individuelle. Dans le meilleur des cas, la signification d’une histoire relie chaque lecteur et spectateur à un moment de clarté sur notre relation commune à une image plus grande à travers un complexe plus large de pensées et de relations qui existent en dehors de l’histoire, constate Martha Alderson.
Son développement émotionnel, de ce qu’il est au début de l’histoire à ce qu’il devient à la fin, apporte une signification thématique à l’idée que ce sont les choix que l’on fait, et non pas sa lignée ou sa nature, qui déterminent son propre chemin dans la vie.
Aussi insaisissable soit-elle, la signification profonde d’une histoire est riche (épaisse ajoute Martha Alderson) et tient de la magie (ou d’une alchimie). Écrire vous envoie loin en vous-même.
Tout au long du voyage, vos thèmes, vos vérités et vos croyances se révèlent de manière surprenante. Écrire une histoire vous met au défi de trouver ce qui importe le plus pour vous. Jamais strictement personnelles ou pour soi-même, les histoires sont écrites pour être lues. Vous vous efforcez de créer une histoire assez grande, assez importante et assez universelle pour mériter l’attention du lecteur.
Les thèmes sont créés à partir de l’histoire elle-même. La signification thématique reflète le point de vue de l’histoire sur la vie et le comportement des êtres humains. Après une ou deux ou trois réécritures, vous commencez à comprendre les thèmes de votre histoire et ce qu’ils représentent.
Dit autrement, votre idée ne reflète pas votre thème. La prémisse, cependant, oriente votre histoire vers un thème. Néanmoins, ce qui peut sembler un guide dans un premier mouvement d’inspiration, pourrait se révéler assez vite comme n’étant pas vraiment ce que vous cherchez à démontrer, votre quête de votre vérité.
Explorez et développez le sens et le message plus général que votre histoire cherche à communiquer sur la vie ou la société et, en fin de compte, sur la nature humaine. Le processus consistant à convaincre votre lecteur d’une affirmation d’importance thématique (à comprendre suffisamment universel pour parler au plus grand nombre) à partir d’un projet entier requiert de la patience, prévient Martha Alderson.
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