Après un joli retour réussi avec le film "La Promesse de l'Aube" (2017) le réalisateur-scénariste Eric Barbier revient un autre biopic cette fois adapté du roman (vendu à plus de 1 million d'exemplaires !), "Petit Pays" (2016) de Gaël Faye. Ce dernier, franco-rwandais a fui son pays natal suite au déclenchement de la guerre civile au Burundi en 1993 (Tout savoir ICI) et suite au génocide des tutsis au Rwanda en 1994 (Tout savoir ICI). Devenu rappeur à succès il est retourné vivre au Rwanda depuis 2015. Le romancier-rappeur précise : "Pour ma part, je n'ai pas hésité trop longtemps et ce qui m'a décidé à accepter le principe d'une adaptation, ce qui m'a motivé, c'était de constater que nous n'existions pas dans le cinéma mondial, dans l'imaginaire du public. Quand je dis "nous", je veux dire cette région du monde, mon pays d'origine. Le Burundi, le Rwanda, c'est une terre inconnue. Ne surnagent que des clichés : la violence et la guerre. On ne connaît pas les genes, on ne connaît pas l'intimité de ce qu'ils vivent et pensent. Il était important que cette histoire existe dans un film pour cette raison-là. Le cinéma est beaucoup plus puissant et plus populaire que le littérature dans cette optique : faire en sorte qu'un monde soit reconnu."
À noter qu'une partie de l'équipe a été contaminée par le Covid-19 lors de la promotion du film dont l'auteur Gaël Faye lui-même... Alors que Gabriel 11 ans vit une enfance heureuse au Burundi avec son père français, sa mère rwandaise et sa soeur Ana la guerre civile éclate au Burundi bousculant son quotidien jusqu'à ces liens avec ses amis. Bientôt, en parallèle de cette guerre un génocide se met en place dans le Rwanda voisin... Quasi la totalité du casting est composé d'amateurs n'ayant jamais joué de rôle. La seule vedette étant Jean-Paul Rouve qui joue le père de famille expatrié français après l'avoir vu dans "Donne-Moi des Ailes" (2019) de Nicolas Vanier et "Je Voudrais que Quelqu'un m'attende Quelque Part" (2019) de Arnaud Viard. Un second rôle est tenu par la franco-hongroise Veronika Varga qui retrouve Eric Barbier après "Le Serpent" (2006). L'épouse est jouée par Isabelle Kabano aperçue dans les téléfilms "Quelques Jours en Avril" (2005) et "Opération Turquoise" (2007), ce dernier traitant également du génocide des tutsis au Rwanda. Les enfants sont incarnés par Djibril Vancoppenolle (Gaby), Dayla De Medina (Ana) et Tao Monladja (Gino)... Outre le roman biographique de Gaël Faye, Eric Barbier s'est documenté sur les faits malgré le fait qu'il se soit heurté au manque d'archives sur le Burundi de cette époque. Il s'est également reposé sur le film "Gito, l'Ingrat" (1992) de Léonce Ngabo, seul film burundais de cette période. Précisons que le film a été trouné au Rwanda même, aidé par la présence sur place de Gaël Faye. L'histoire dans cette Histoire est raconté du point de vue de l'enfant (Gaby), à hauteur d'enfant et de son point de vue. Logique de par l'expérience réelle vécue par Gaël Faye et d'ailleurs on peut saluer le travail d'adaptation de Eric Barbier qui n'omet pas le fait que l'enfant ne pouvait pas tout comprendre des tenants et aboutissants ayant mener à tant de tragédies. Mais par contre, on reste un peu trop en retrait car ce choix là nous laisse trop en marge des événements et des drames et finalement on ne voit pas grand chose.
Certe l'enfant qu'était Gaël Faye a sans aucun doute souffert mais en tant que spectateur le film ne montre pas grand chose à tel point que la crise conjugale des parents prend le pas sur la guerre et le génocide. Sur le fond le plus intéressant reste bizarrement la relation des parents, elle qui semble jouer un rôle de convenance car elle a "touché le gros lot" en épousant un muzungu (blanc expatrié), qui n'aime plus son marie et qui devient aveugle aux drames qui l'entoure, lui qui ose rappeler à son épouse qu'elle a de la chance d'avoir épousé un blanc, rappelant une certaine condescendance post-colonialiste malgré qu'il l'aime encore et qu'il aime ses enfants et sa vie en Afrique. Rien n'est simple, tout est compliqué, rien n'est blanc ou noir tout est gris. Le cinéaste met bien en place une atmosphère pesante, anxiogène, jusqu'à la peur, on suffoque, on tremble mais cette immersion est si focalisée sur le regard de l'enfant que ça reste très et trop sage. L a suggestion a ses limites, même si on sait qu'un enfant restent marqués par de tels événements, même sans tout comprendre. Niveau émotion on est donc bridé par le regard d'un enfant qui ne voit pas grand chose et qui ne risque pas grand chose (enfant français bourgeois) comparé à ses compatriotes. On salue en tous cas la neutralité du film, Barbier ne prenant pas partie pour les uns ou les autres, judicieux en ce qui concerne un conflit parmi les plus incompréhensibles de l'époque moderne (hutus et tutsis sont si semblables !). En conclusion, pour reprendre la déclaration de l'auteur Gaël Faye, ce film tente d'éviter les " clichés : la violence et la guerre" en se servant de souvenirs d'enfance, mais le résultat reste le même, d'abord et avant tout parce que c'est le thème de ce récit. Ensuite " constater que nous n'existions pas dans le cinéma mondial" est un peu réducteur, on peut dire que c'est sans doute vrai pour le Burundi, beaucoup moins pour le Rwanda, citons les plus connus avec "Hôtel Rwanda" (2004) de Terry George et "Shooting Dogs" (2005) de Michael Caton-Jones. Eric Barbier signe un film intéressant, magnifiquement joué par des acteurs au diapason, un joli mixte entre drame pur et images contemplatives pour ne pas oublier que c'est un enfant qui raconte, quelques bons passages, mais il est pourtant indéniables que le fait que l'enfant soit un témoin "lointain" (avec toute la nuance évidemment) nous empêche de plonger à fond dans les événements. Un film à conseiller toutefois.