[Compétition Officielle]
De quoi ça parle ? Ou plutôt de qui ? :
D’Eleanor Marx, la plus jeune des filles de Karl Marx, une intellectuelle brillante qui a soutenu les idéaux de son père et à repris le flambeau à sa mort. Progressiste et avant-gardiste, elle défendait la cause des prolétaires du monde entier, l’héritage de la Commune, mais militait aussi pour les droits des femmes, ce qui était un peu moins courant à cette époque. Elle-même a dû se sacrifier au profit des hommes de sa vie, d’abord en vivant dans l’ombre imposante de son père, dont elle a dû s’occuper quand sa santé s’est mise à décliner, puis en veillant sur le fils de sa soeur aînée quand celle-ci est décédée. Et quand elle aurait pu enfin s’émanciper, vivre sa vie, elle a commis l’erreur de s’enticher d’un auteur de théâtre réputé volage, dépensier, opiomane et égocentrique. Comme quoi les esprits les plus brillants ont aussi des failles…
Pourquoi on adhère au parti (au parti-pris de mise en scène) ? :
Dès le générique, Susanna Nicchiarelli fait le choix d’utiliser de la musique punk-rock moderne. L’idée peut de prime abord sembler saugrenue, en décalage total avec le contexte du film. La bourgeoisie corsetée du XIXème siècle n’était pas vraiment ce que l’on peut qualifier de “rock’n roll”. Mais, toutes proportions gardées, on peut se dire qu’à l’époque, dans les milieux intellectuels et les cercles philosophiques bourgeois, les idées de Karl Marx et Friedrich Engels ont eu le même effet que l’apparition du rock dans les années 1960. Quant à la Miss Marx du titre, Eleanor, on peut se dire qu’elle incarne, avec sa fougue, sa jeunesse et son esprit frondeur, le renouveau punk du mouvement. Elle possédait l’énergie, le charme, le charisme, un vrai talent d’oratrice et une vivacité d’esprit qui, alliée à son côté un peu rebelle, en faisaient une “bête de scène”. D’ailleurs, elle partait fréquemment en tournée, en Europe et aux Etats-Unis, pour aider à diffuser le plus largement les idéaux socialistes. Son destin tragique d’étoile filante, qui a choisi de se suicider à l’âge de 43 ans, la rapproche d’une Janis Joplin, d’un Jim Morrisson ou d’une Nico, à qui la cinéaste italienne a déjà consacré un film. Donc oui, Miss Marx était une sorte de rock star, qui aurait bien mérité d’entrer au Hall of Fame des militantes de gauche, comme son illustre géniteur.
De ce point de vue-là, le film est une réussite, il parvient à réhabiliter l’image d’Eleanor Marx, ou la faire connaître d’un public qui ignorait tout de son existence. Susanna Nichiarelli, bien aidée par la trop rare Romola Garaï, superbe dans le rôle-titre, dresse un beau portrait du personnage, soulignant son côté pionnier, avant-gardiste. Tous les discours que la militante prononce à l’écran trouvent encore un écho aujourd’hui, aussi bien ceux en faveur des prolétaires exploités par des patrons voyous que ceux en faveur des droits des femmes, bafoués y compris dans les sociétés les plus progressistes. Ils dynamisent le récit et apportent un plus à ce biopic, par ailleurs assez classique sur la forme.
C’est là que le bât blesse. La cinéaste n’a pas osé exploiter jusqu’au bout le parallèle avec la musique rock. Sa narration reste beaucoup trop linéaire, trop appliquée, et sa mise en scène est bien trop sage pour nous entraîner complètement. C’est dommage, car avec un peu plus de folie et d’audace, Miss Marx aurait pu être un très bon long-métrage. A défaut, c’est un biopic honnête et intéressant, ce qui est déjà une bonne chose.
Prix potentiels ? :
Difficile de ne pas voir en Romola Garaï une postulante sérieuse au prix d’interprétation féminine.
Un jury féministe aura peut-être envie de donner un peu plus à l’oeuvre elle-même, avec, pourquoi pas, un Grand Prix à la clé.
Autres avis sur le film :
“Au secours! Je n’en pouvais plus de tous ces discours politiques! Le film est trop bavard!”
(Un festivalier français en sortie de projection)
”While Nicchiarelli has chosen to enliven her stony material with a spirit of punk rock rebellion most literally evident in a snarlingly anachronistic song score, the film never quite shakes its dourness.”
(Guy Lodge – Variety)
”#Venezia77: #MissMarx de Susanna Nicchiarelli, mi favorita de lo que llevamos de Mostra, es la película socialista y feminista que necesitan el cine y el mundo de hoy. Una obra de espíritu punk que aúna una sensibilidad popular con las transgresiones del cine de la modernidad.”
(« Miss Marx, mon préféré de la Mostra, est le film socialiste et féministe dont le cinéma et le monde d’aujourd’hui a besoin. Une œuvre à l’esprit punk qui allie une sensibilité populaire aux transgressions du cinéma moderne. »)
(@ManuYanezM, Twitter)
Crédits photos : Emanuela Scarpa, Vivo Films, Tarantula