“J’irai mourir dans les Carpates” d’Antoine de Maximy

Par Boustoune

Pour ceux qui ne le connaissent pas, Antoine de Maximy est un réalisateur de documentaires qui a eu un jour  l’idée géniale de confectionner un prototype de harnais équipé de deux caméras miniatures, capables de le filmer lui en même temps que ses interlocuteurs. Equipé de ce curieux matériel, inventé avant l’essor des mini-caméra portatives, il s’est mis à sillonner la planète avec l’objectif de rencontrer les autochtones et de se faire héberger chez eux, filmant tout de ses périples. C’est ainsi qu’est née l’émission baptisée “J’irai dormir chez vous”, qui fait les beaux jours de France 5 depuis 2005. Fort de son succès, le réalisateur avait porté un de ses voyages sur grand écran, en 2008, avec J’irai dormir à Hollywood. Ce qui nous avait marqué, dans ce road-movie à l’américaine, ce n’était pas l’idée saugrenue de chercher à dormir chez une star hollywoodienne, ni la traversée du pays, de New York à Los Angeles, à bord d’un corbillard. Non, c’était plutôt la rencontre avec un homme inquiétant qui insistait pour que le cinéaste entre dans sa maison, paumée dans le désert. Un lieu où il avait visiblement commis quelque chose de terrible… Face à cette scène, différente de la tonalité générale du récit, nous avions éprouvé un peu d’angoisse pour Antoine de Maximy, qui voyage toujours seul, équipé de ses seules caméras à cassettes et son côté naturellement sympathique. Des armes bien insuffisantes pour faire face à un détraqué ou un dangereux personnage…
C’est sans doute les risques qu’Antoine de Maximy a pris au cours de ses quinze ans de voyages dans tous les pays du monde, qui lui ont inspiré le scénario de J’irai mourir dans les Carpates, un film de fiction où il joue son propre rôle et imagine sa disparition, au coeur des Carpates.

Le film commence comme l’un de ses habituels reportages. Il s’arrange pour dormir chez l’habitant, trace sa route dans les villages les plus reculés du pays. Mais, alors qu’il vient juste de s’installer dans un petit-village au nord des Carpates, entre la Roumanie et l’Ukraine, il est victime d’une sortie de route.
La voiture est retrouvée quelques jours plus tard dans une rivière, sans son occupant. Antoine de Maximy est déclaré mort par la police locale, qui abandonne les recherches du corps. En France, son équipe est dévastée. Mais Agnès (Alice Pol), sa monteuse, décide de finir le montage malgré tout, puisque toutes les cassettes tournées par le cinéaste ont été restituées par les autorités roumaines.
Agnès est vite persuadée que la disparition du cinéaste n’est pas un accident. Le voyage semble avoir été plus compliqué que d’habitude, les relations avec les autochtones plus tendues. Des détails troublants sèment le doute. Et surtout, il manque deux cassettes, potentiellement porteuses d’informations cruciales sur la disparition du globe-trotter. Flanquée d’un stagiaire lourdingue (Léon Plazol) et d’un flic lunaire (Max Boublil), elle décide de mener son enquête, d’abord à distance, depuis sa table de montage, puis sur place.

L’idée n’était pas forcément mauvaise en soi. Mixer images documentaires et enquête fictionnelle sur des terres ayant nourri les fantasmes littéraires et cinématographiques de plusieurs générations de spectateurs, notamment à travers les histoires de vampires, de comtesses sanglantes et autres créatures démoniaques, aurait pu donner un drôle de  documenteur. Le problème, c’est que la partie fictionnelle de  J’irai mourir dans les Carpates est extrêmement balourde, ni vraiment drôle, ni vraiment palpitante. Si Alice Pol fait beaucoup d’efforts pour faire exister son personnage, elle peine à porter le film sur ses seules épaules, et elle n’est pas du tout aidée par ses partenaires, qui ont des rôles ridicules. A quoi sert le personnage du stagiaire? Il est tellement insignifiant (et agaçant) qu’il disparaît à mi-parcours. A quoi sert le personnage de Max Boublil? Il n’est pas vraiment développé, pas très drôle et sa fonction dans l’intrigue est réduite au strict minimum… De toute façon, l’intérêt du film était à trouver ailleurs. Dans le décor des Carpates, ses légendes, ses histoires terrifiantes… Las, Antoine de Maximy ne les exploite que dans une pauvre séquence qui ferait presque passer Les dents de la nuit ou Les Charlots contre Dracula pour des chefs-d’oeuvres du fantastique! Même le Château de Dracula est filmé de loin, sans être exploité. Un comble! Le cinéaste explique son choix en direct dans le film : “C’est un truc pour touristes! Très peu pour moi!”. D’accord, cher Antoine, mais à ce moment-là, pourquoi avoir choisi une trame de comédie populaire pour votre film? Pourquoi en faire le truc le plus grand public possible? C’est sûr qu’une telle intrigue ne va pas fatiguer les neurones des spectateurs, ni terroriser un public familial… Mais bon… c’est un peu léger quand même.
Reste la partie “documentaire”, qui est probablement elle aussi intégralement mise en scène. Dommage, car il y avait moyen d’explorer différemment le folklore des Carpates, de s’intéresser vraiment à ses habitants.

Désolé, mais on ne marche pas, cette fois. On laisse Antoine de Maximy et son équipe mourir de honte dans les Carpates pour nous avoir présenté un film aussi bâclé. Mais on espère une résurrection avec un vrai documentaire, qui permettra de retrouver tout ce que l’on aime habituellement chez le cinéaste, son regard à la fois amusé et tendre sur les gens qu’il rencontre, son envie de montrer ce qui constitue l’essence d’un pays et de ses habitants. Bref, tout ce qui nous manque ici.

Crédits photos : Copyright Marie Augustin – Rouge International – Bonne Pioche Cinéma – France 2 Cinéma – BNP Paribas Pictures – Apollo Films – 2020


J’irai mourir dans les Carpates
J’irai mourir dans les Carpates
Réalisateur : Antoine de Maximy
Avec : Antoine de Maximy, Alice Pol, Max Boublil, Léon Plazol, Stephan Wojtowicz, Alexandre Ionescu
Origine : France
Genre : J’irai dormir chez vous plutôt que d’écrire un scénario
Durée : 1h36
date de sortie France : 16/09/2020
Contrepoint critique :
“Le film rappelle parfois les pérégrinations des comédies de Philippe de Broca, du Magnifique à L’Homme de Rio ou Les Tribulations d’un Chinois en Chine… En cela, Antoine de Maximy demeure un incorrigible optimiste. Voilà qui fait du bien en ces temps incertains.”
( Olivier Delcroix – Le Figaro)