Alexis (Félix Lefebvre), lui, n’a pas vraiment la tête à cela. Du haut de ses seize ans, il se pose beaucoup de questions quant à son avenir. Son père le presse de quitter le lycée pour venir travailler avec lui sur les docks. Son professeur de français, au contraire, l’enjoint de continuer ses études, car il décèle en lui un certain potentiel, des facilités pour l’écriture qui ne demandent qu’à s’exprimer. Sa mère, enfin, lui conseille de faire ce qui lui plaît. Le problème, c’est qu’Alexis ne sait pas vraiment ce qu’il veut, justement. A la croisée des chemins, il est un peu perdu, tout comme il est un peu perdu sentimentalement. Il a bien constaté qu’il était plus attiré par les garçons que par les filles et ne sait pas trop comment gérer cela, notamment par rapport à sa famille. Il sent bien que son père, notamment, n’est pas très ouvert sur le sujet.
Alors qu’il est parti faire un tour en mer sur le bateau d’un ami, pour prendre le temps de réfléchir aux choix qu’il a à effectuer, il est pris dans une tempête et chavire. C’est là qu’intervient son « chevalier blanc », David (Benjamin Voisin), qui le tire hors de l’eau et le ramène à bon port. Ils se lient d’amitié et Alexis chavire une deuxième fois, sentimentalement parlant, pour ce beau garçon un peu plus âgé que lui, plein de vie et d’assurance, qui vit à deux cent à l’heure et ne semble avoir aucun tabou. Tout son contraire en somme. Quand, au bout de quelques jours, David entrouvre la porte à une relation plus qu’amicale, Alexis n’hésite pas une seconde et vit sa première vraie histoire d’amour.
Tout cela, François Ozon le restitue à merveille. Il montre parfaitement le jeu de la séduction auxquels se livrent les deux garçons, l’éveil de la sensualité, la naissance du sentiment amoureux, amplifiés par la folle insouciance de la jeunesse. Sa caméra filme l’exaltation des corps en boîte de nuit, la fougue du premier baiser, capte l’émotion et la fébrilité de la première fois, bien aidé par ses deux jeunes comédiens, formidables. On sent que le cinéaste prend beaucoup de plaisir à reconstituer une époque où il avait à peu près l’âge de ses personnages et a vécu ses premiers émois amoureux, mais aussi à revisiter sa filmographie, évoluant sur le terrain de ses premiers succès cinématographiques (Une robe d’été) et abordant plusieurs de ses thématiques récurrentes – la famille vécue comme un cocon étouffant (Sitcom), le travestissement (Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, Une nouvelle amie), la passion amoureuse et ses conséquences (5×2, Angel), la disparition de l’être aimé (Sous le sable), l’écriture (Dans la maison)…
En revanche, sa construction narrative, héritée du roman dont il s’inspire (1), est moins inspirée. Elle correspond à un long flashback qui raconte l’histoire d’Alexis et David, et les circonstances qui ont mené au drame. Car les histoires d’amour finissent mal en général… Alexis ne pouvait pas le savoir, car les Rita Mitsouko ne le chanteront que deux ans après… Le spectateur, lui, sait d’entrée qu’une tragédie va survenir puisqu’il voit le protagoniste principal menotté et l’air sombre, attendant son passage devant le juge. Le jeune homme, en voix off, affirme que David est décédé et il semble porter toute la culpabilité de cette mort sur les épaules. Pour le suspense, c’est raté, même si Ozon fait en sorte de ne pas tout dévoiler d’entrée. Il aurait peut-être mieux valu privilégier ici une approche plus linéaire, afin de permettre au spectateur de mieux s’attacher aux personnages et d’être davantage saisis par l’émotion au moment du drame.
Par ailleurs, dans ce registre plus sombre, Félix Lefebvre est moins convaincant. Il n’a pas le vécu pour jouer cet aspect du rôle et a tendance à trop forcer le trait, alors qu’il est au contraire totalement juste et émouvant pendant tout le reste du long-métrage.
Heureusement, le film possède plus de qualités que de défauts. On finit par se laisser porter par le récit, grâce à la mise en scène élégante de François Ozon, sa direction d’acteurs impeccable – et son don assez incroyable pour révéler les talents. Ici, outre la présence incandescente de ses deux jeunes acteurs, il nous fait découvrir la jeune Philippine Velge, lumineuse dans le rôle de Kate, la petite anglaise coiffée à la garçonne qui va, malgré elle, perturber la relation entre Alexis et David. Ce beau trio cohabite avec des habitués de l’univers du cinéaste – Valéria Bruni-Tedeschi en mère envahissante et un peu fêlée, Melvil Poupaud en professeur sensible – et des nouveaux venus qui peuvent ici montrer d’autres facettes de leur talent – Isabelle Nanty, loin des Tuche, Aurore Broutin, Laurent Fernandez. Tous sont très convaincants et défendent leur personnage avec beaucoup d’intensité.
Mais c’est vraiment la capacité d’Ozon à filmer l’essence du désir, la flamme de la jeunesse et le brasier incandescent d’un premier amour, beau et dévastateur, qui réussit à nous emporter et nous faire aimer ce bel Eté 85.
A noter que film fait partie de la sélection du Festival de Cannes 2020. Il y a fort à parier que si le festival avait eu lieu, Eté 85 se serait retrouvé en Compétition Officielle, en lice pour l’un des prix d’interprétation et pour la Palme d’Or.
(1) : “La danse du coucou” d’Aidan Chambers – éd.Points, réédité sous le titre “Eté 85” à l’occasion de la sortie du film, chez le même éditeur.
Crédits photos : Copyright Jean-Claude Moireau / Mandarin Production / Foz / France 2 cinéma / Playtime production / Scope Pictures
Eté 85
Eté 85
Réalisateur : François Ozon
Avec : Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge, Valeria Bruni-Tedeschi, Melvil Poupaud, Aurore Broutin, Isabelle Nanty, Laurent Fernandez, Bruno Lochet
Origine : France
Genre : Drame sentimental
Durée : 1h40
date de sortie France : 14/07/2020
Contrepoint critique :
“Comment fait-il François Ozon pour ne jamais rater un film et devenir sans doute un de nos si ce n’est le meilleur réalisateur français en activité?”
(Michelio – Baz’Art)