Le projet du documentaire de Lifshitz est de suivre durant 5 ans deux adolescentes (de 13 à 18 ans). Il choisit Brive la Gaillarde, une ville moyenne proche de la campagne, dans laquelle la culture banlieue est inexistante tout comme la délinquance. Parfait, par ce choix géographique de se focaliser sur l’adolescence et ses mystères en ôtant tous les sujets qui peuvent pourraient polluer son film, il déleste son film de sujets polluants. Ce film rappelle un autre documentaire de mon enfance, dans les 80’s, dans lequel on suivait des enfants d’une classe de 6ème tous les ans jusqu’à leur 18 ans. Il rappelle aussi en mode girlhood le « Boyhood » de Linklater.
Les deux jeunes filles sont amies, mais ne peuvent être plus dissemblables. L’une est issue d’un milieu favorisé, elle est taciturne et attirée par la culture ; l’autre est issue d’une famille pauvre, elle est volubile et vit sa vie et ses expériences à 100 à l’heure.
Premier constat, Lifshitz évite les pièges du voyeurisme que pouvaient lui tendre ces histoires personnelles qui pour l’une d’entre elle aurait pu prêter au sensationnalisme et au tire larmes. Cette réussite tient surtout au fait que les deux jeunes filles savent aussi en permanence qu’elles sont filmées. Et c’est là aussi que le bas blesse. Dans « Boyhood », rendez-vous était pris une fois par an pour réaliser une œuvre de fiction en mode documentaire sur 8 ans ; ici, en mode documentaire, les rendez-vous sont attendus par les jeunes filles qui parfois finissent par jouer un rôle et surtout par peu se confier. Donc l’intérêt devient limité, car la caméra ne parvient pas à se faire si oublier que cela surtout auprès de la jeune issue d’un milieu plus favorisé. On peut même légitimement penser que ce tournage a fini par modifier son destin ; elle ne se tourne pas vers des études de cinéma au terme du film par hasard. On sent même sa mère agacée par ce choix ; elle doit même se dire qu’en acceptant le deal de ce doc, elle a ouvert la boite de Pandore. De ces rendez-vous aussi naissent des rencontres entre les deux jeunes filles dont on voie bien les destins s’éloigner franchement ; on doute même de leur amitié et d’une réelle envie de se retrouver ; retrouvailles liées au besoin du tournage dont il ne ressort donc pas grand-chose. Dans son montage, il privilégie aussi l’empilage de scènes quelquefois redondantes (les engueulades mère fille par ex) au détriment des temps longs dans lesquels il ne se passent pas grand-chose ; ce qui incarne pourtant l’adolescence. 2h15 de film, un choix différent aurait pu se faire au montage ; 500h de rushs tout de même ; et passons sur les pastilles d’image d’actualité (Bataclan, Charlie Hebdo) qui n’apportent pas plus que de situer la chronologie de ces 5 années de tournage.
Des loupés, mais aussi des réussites à mettre au crédit du mode documentaire. C’est terrible comme on perçoit que son milieu social conditionne toute sa vie et qu’il est difficile d’en sortir. Copines certainement à 12/13 ans, l’écart se creuse entre elles de manière inéluctable ; au-delà de leurs cas personnels, c’est une radioscopie de la société française fragmentée et d’un ascenseur social aussi en panne. C’est aussi un plaidoyer pour le maintien des services publics au profit des plus défavorisées ; la jeune fille du milieu moins favorisée est prise en charge à plusieurs reprises par les services sociaux, voire placée en centre ; et tous ces dispositifs lui permettent de mener ses projets à terme et d’avancer à son rythme, de s’insérer et se construire comme une citoyenne adulte et responsable.
Utile, intéressant par moment, mais si artificiel et anecdotique d’autres fois.
Sorti en 2020
Ma note: 11/20