[Compétition]
De quoi ça parle ?
D’un petit garçon qui essaie de faire comprendre à sa camarade de classe qu’il est amoureux d’elle, ce qui n’est pas simple quand on est très timide et qu’on éprouve ces choses-là pour la première fois et quand on passe d’importants examens de fin d’année. Et ce qui est encore plus compliqué dans le contexte du Beyrouth de juin 1982, troublé par les divisions politiques internes et l’invasion du sud du Liban par les troupes Israéliennes.
Pourquoi on a envie de faire l’école buissonnière?
Parce que 1982, malgré d’évidentes bonnes intentions, manque un peu trop de rythme et, paradoxalement, de tension dramatique pour nous emporter totalement.
L’idée de Oualid Mouaness est pourtant très bonne. Il s’agit, ici, de raconter un évènement dramatique à travers le regard d’enfants encore innocents et insouciants, incapables de saisir tous les aspects politiques et historiques du conflit, mais en âge de comprendre la gravité de la situation.
Au début, rien ne distingue cette journée de juin 1982 d’une autre journée. Les enfants sont juste un peu stressés par leurs examens de fin d’année, ce qui ne les empêche pas de jouer aux billes, au football ou de rêvasser en regardant le ciel, radieux et ensoleillé, juste inhabituellement zébré de traînées blanches, trahissant une forte activité aérienne. Les adultes, eux, sont plus tendus. La rumeur parle d’une guerre imminente au sud du pays, déjà touché depuis des années par des tensions politiques et communautaires, impliquant le conflit israélo-palestinien. Yasmine, la professeure de mathématiques, vient d’apprendre que son frère George est parti rejoindre une milice, justement dans le sud du pays, là où les hostilités sont annoncées. Elle aussi regarde le ciel, mais pour prier pour le salut de ses proches. Son collègue Joseph est également soucieux. Il reste l’oreille collée à son transistor pour écouter l’évolution de la situation. Mais ils assument pleinement leurs fonctions, essayant de protéger les enfants du trouble extérieur et de faire régner au mieux l’ordre durant les examens.
Mais peu à peu, la menace se précise. Des bruits de bombes éclatent au loin. Le ciel continue d’être scruté. On voit cette fois-ci distinctement les avions de chasse de Tsahal tournant autour de Beyrouth. Les rares nuages se mêlent à la fumée qui s’échappe d’un dépôt de carburant bombardé.
Pendant la récréation, les gamins voient des véhicules blindés circuler à toute vitesse en direction du sud de la ville. Les explosions sont de plus en plus proches. Certains parents paniqués viennent récupérer leur progéniture. Il devient de plus en plus difficile de maintenir le calme, car les enfants commencent eux aussi à avoir peur pour leurs proches, leurs foyers. Cette irruption progressive du chaos dans la bulle constituée par cette école anglaise en périphérie de la ville est parfaitement orchestrée.
Le problème vient plutôt de la trame principale, articulée autour du coup de foudre du petit Wissam pour sa camarade Joanna. L’idée de départ s’avère être à double tranchant. En adoptant le point de vue de Wissam, l’enjeu dramatique du film se résume alors à comment il va réussir à surmonter sa timidité et avouer à la jeune fille qu’il est l’auteur du petit billet doux glissé dans son casier. Pour lui, à ce moment précis, concrétiser sa première vraie histoire d’amour est plus important que tout. Mais pour un spectateur adulte, cela peut sembler bien futile au regard de ce qui se noue à côté…
Si Oualid Mouaness avait donné plus d’ampleur au personnage de Yasmine, incarné par la sublime Nadine Labaki, il aurait pu trouver un équilibre entre le regard naïf de l’enfant et celui, plus ancré dans le réel, de l’enseignante. Mais le personnage est finalement assez peu développé et les enjeux autour d’elle sont assez faibles. Plutôt que d’insister sur le sort de la famille de la professeure, le cinéaste tricote autour de la relation qui unit Yasmine à Joseph, polluée par la politique et les divergences d’opinions. On peine à croire à leur passion amoureuse et à leurs chamailleries de couple, tout aussi futiles que la bluette de Wissam et Joanna.
Pour que le film fonctionne pleinement, il aurait fallu trouver ce point d’équilibre entre gravité et légèreté qui ici, penche trop vers la seconde. Ou bien assumer totalement le point de vue unique du petit garçon. La scène finale, entremêlant film d’animation et prises de vue réelles, images de guerre et imaginaire d’enfant fan de dessins animés japonais, aurait alors trouvé tout son sens dans une telle construction. Là, elle apparaît un peu décalée et maladroite, même si on comprend bien que, pour l’enfant, ce refuge dans l’imaginaire est un moyen de se protéger face à une situation qui le dépasse – la cohabitation de son plus beau souvenir d’enfance avec le plus traumatisant.
Même si on peut regretter ces quelques scories scénaristiques et le rythme général du film, un peu trop monocorde, Oualid Mouaness signe un premier long-métrage prometteur, empreint d’une mélancolie qui tient autant à la nostalgie de l’enfance qu’au gâchis constitué par cette guerre civile dévastatrice, qui a duré plus de quinze ans et a laissé des stigmates sur la société libanaise actuelle. Il laisse entrevoir de belles qualités au niveau de la mise en scène et de la direction d’acteurs, s’inscrivant dans le sillage de sa consoeur Nadine Labaki, à qui il offre ici un joli rôle, tout en intériorité. Le Liban, qui vit de nouveau une période troublée, entre le profond marasme économique dans lequel il est plongé et l’explosion chimique qui a soufflé la moitié de sa capitale, Beyrouth, va avoir bien besoin de ces cinéastes et de leur regard sur le monde, à la fois incisif et plein de poésie…
Autres avis sur le film :
« Très beau film, tout en subtilité, pas une seule goutte de sang à l’écran alors qu’on parle de guerre et d’invasion, personnages très attachants. »
(Faten Abdelkafi – Binetna)
« The transformation of an ordinary day into an extraordinary one unfortunately doesn’t register with much heightened drama in 1982 »
(Todd McCarthy – Hollywood Reporter)
Crédits photos : Photos d’exploitation fournies par le FIFF de Namur