© Universal Pictures
Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s, sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'oeuvre de la Hammer, que des pépites cinéma bis transalpin en passant par les slashers des 70's/80's; mais surtout montrer un brin, la richesse d'un cinéma fantastique aussi riche qu'il est passionnant à décortiquer. Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture nos billets !#13. Dracula de Ted Browning (1931)
Force est d'avouer qu'en l'espace d'un siècle ou presque, il y a eu pléthore de Draculas qui ont squattés aussi bien le petit que le grand écran, mais tous ont dû se mesurer au fil du temps, avec la prestation absolument habitée de Bela Lugosi (qui, pour la petite histoire, n'aurait jamais eu le rôle sans la disparition du grand Lon Chaney).
Une performance marquante et indélébile, à peine masquée par celle plus lisse et physiquement imposante de feu Christopher Lee (au moment des plus belles heures ou presque, de la Hammer), ou celle plus romantique et baroque de Gary Oldman.
Même si le film éponyme de Ted Browning - daté de 1931 -, véritable introduction du personnage dans la psyché collective, ne lui avait pas forcément permis de mettre en valeur son aura au coeur d'une intrigue des plus solides : Lugosi était et EST Dracula, et quand il le dit face à l'écran, qu'il pèse de tout son charisme sur tous les bords de la pellicule, sa conviction nous pousse à naturellement le croire, sans même douter un seul instant.
La non-nature vampirique du comédien hongrois en faisait le comte le plus étrangement parfait : il n'avait pas de crocs sur-développés, pas de maquillage ni d'effets autre que du rouge foncé sur les lèvres et de légers traits de crayon sous ses yeux, pour souligner son regard hypnotique et pénétrant.
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Mais sa stature humaine - ou plutôt mort-vivante - torturée, son timbre suave (son accent hongrois est, un comble à Hollywood, une force) et son attitude très théâtrale, embaumée dans une ambiance sinistre et sexuellement morbide, lui conférait une grace diabolique - bien aidé par la photographie absolument incroyable de Karl Freund -, aussi terrifiante que séduisante.
Le film (qui est la première adaptation cinématographique autorisée du roman de Bram Stoker - même si elle n'en est pas une adaptation au pied de la lettre -, F.W. Murnau et son Nosferatu, avait vite été rattrapé par la veuve de Stoker justement) lui, tourné simultanément (enfin, la nuit) avec la version hispanique du mythe signée George Melford (techniquement supérieur, plus fluide et à la charge/tension sexuelle résolument plus prononcée), caractérise à lui seul toute l'ambivalence du cinéma de Browning : terne et maladroit quand il se perd dans les banalités de ses histoires (et peut-être plus encore, à l'arrivée du cinéma sonore/parlant), mais formidablement grave et majestueux quand il arrive à se connecter avec la noirceur et la perversité macabre de ses histoires (Freaks et The Devil-Doll étant indiscutablement ses plus beaux efforts).
Quand il laisse parler le fantastique de son histoire (le premier tiers, incroyable, qui nous invite avec générosité dans les entrailles du château de Dracula), le cinéaste tutoie la magie pure du septième art, mais quand il laisse son histoire stagner - quasiment tout le reste du métrage -, il peine à masquer sa direction d'acteur instable (et la partition triste de la quasi-totalité des interprètes, mis à part Dwight Frye dans la peau du fou Renfield), mais surtout sa réalisation presque encore plus hésitante et tremblante, perdu à l'idée de rendre un tant soit peu rythmé, un océan de dialogues peu convaincants.
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Pire, en comparaison de Nosferatu, qui démontrait avec puissance combien une histoire sur les suceurs de sang pouvait être effrayante et merveilleusement atmosphérique, l'effort de Browning fait cruellement pâle figure, même si elle à sa part de moments mémorables (impossible de ne pas penser aux scènes lorsque Dracula descend les escaliers de son château, ou qu'il se penche pour mordre sauvagement le cou de Mina) .
Mais il a un atout incroyable entre ses mains : Bela Lugosi, dans le rôle de sa vie (avec toute la tragédie que cela implique, puisque Dracula lui a tout donné tout en l'enfermant dans une prison de verre artistique), qui justifie à lui seul sa vision.
Vite éclipsé au coeur de l'âge d'or d'Universal, par le chef-d'oeuvre indiscutable qu'est Frankenstein de James Whale (et sa suite encore plus réussite, La Fiancée de Frankenstein, toujours de Whale), Dracula est un classique moindre de l'âge d'or d'Universal, mais aussi et surtout l'exemple pertinent que, parfois, la renommée, l'influence culturelle profonde d'une oeuvre, surclasse la qualité de celle-ci.
Ou quand l'imperfection arrive, bizarrement, à se fait essentielle...
Jonathan Chevrier