[Namur 2020] “China Dream” de Thomas Licata et Hugo Brilmaker

China dream - affpro

[Place au doc belge]

De quoi ça parle?

Du ”Rêve chinois” vanté par le président Xi Jinping lorsqu’il est devenu chef du Parti Communiste Chinois, en 2012. Un rêve qui consiste à faire encore plus d’efforts et de sacrifices pour parvenir à la grande renaissance de la nation chinoise, à créer de nouvelles “routes de la soie”pour renforcer l’influence de l’Empire du Milieu dans le reste du monde. Un rêve pour lequel certains citoyens chinois paient un lourd tribu.
Le documentaire traite aussi des mutations de la Chine contemporaine, tiraillée entre le passé, le présent et le futur, avec toujours en trait d’union le régime communiste en place et sa politique autoritaire.

Pourquoi ce documentaire nous fait rêver?

Parce qu’il est exactement ce que doit être un documentaire cinématographique. Pas un reportage télévisuel ou une suite d’interviews à vocation purement informatives mais une oeuvre construite, pensée, portant un point de vue et dialoguant avec le spectateur par le biais des compositions d’image et du montage, qu’il soit visuel ou sonore.

Ici, les auteurs, Thomas Licata et Hugo Brilmaker, ont choisi de poser leurs caméras à Datong, une ville située à 300 km à l’ouest de Pékin, dans la province du Shanxi, pour vérifier comment cette ville a mis en application le programme du président Xi Jinping articulé autour du “rêve chinois”.
Un bon choix, à priori, car Datong avait bien besoin d’une “renaissance”. La ville était autrefois le centre d’une des principales régions minières de charbon de la Chine, l’un des grands pôles économiques du pays, avant de décliner inexorablement quand les mines ont fermé les unes après les autres. Elle était devenue une ville sinistrée et extrêmement polluée. Aussi, dès 2008, le Parti Communiste a envoyé sur place un nouveau maire, Geng Yanbo, avec pour mission de transformer l’ancienne ville minière en une espèce de centre touristique géant célébrant la culture chinoise et de préparer l’avenir en construisant d’immenses tours d’habitation ultra-modernes, construite sur le modèle des tours de Shenzen, la “Silicon Valley” chinoise.
Pour cela, il fallait déjà se débarrasser de l’ancienne ville. Alors, près de 500 000 personnes ont été “gentiment invitées” à faire leurs bagages et quitter les lieux, en attente d’être relogés dans des logements neufs, forcément plus confortables.
Douze ans après, les cinéastes viennent dresser le bilan de ce projet pharaonique, et constatent rapidement les dégâts.

Dès le premier plan, on voit que tout n’a pas fonctionné. La ville est composée de quatre strates différentes, coupées les unes des autres. Au loin, on distingue de gigantesques tours d’habitation, des gratte-ciel encore en construction. Un peu plus avant, des immeubles “ordinaires”, où vit l’essentiel de la population, puis une grande zone constituée de temples et de vestiges culturels, qui constitue le coeur du projet, censé attirer les touristes par milliers, et enfin, tout devant, l’ancienne ville ou ce qu’il en reste : des ruines et quelques habitations tenant encore debout par miracle, où vivent encore quelques centaines d’habitants.
Pas vraiment la vue que les touristes ont envie de voir. Et pas le discours que les autorités voudraient entendre, car les habitants de ces bâtisses en ruine éprouvent une légitime colère face à la destruction de leur quartier. Le maire ne leur a pas vraiment laissé le choix. Il leur a demandé de quitter les lieux et a immédiatement lancé les bulldozers à l’assaut des habitations. Certains ont accepté l’offre de relogement des autorités, d’autres ont été contraints de partir quand les travaux ont provoqué des dégâts sur leurs bâtiments. Certains attendent toujours une offre de relogement digne de ce nom, équivalente à ce qu’ils possédaient ou même, simplement, à une offre tout court, car depuis la construction du quartier touristique et le départ du maire, les ruines de l’ancienne ville ne semblent plus intéresser personne et le sort de ses habitants encore moins.

L’amertume est d’autant plus grande que le projet s’avère un flop monumental. Le quartier touristique est très joli, c’est certain, avec tous ces majestueux monuments, entretenus à grands frais, ses longues promenades le long des remparts, et il est aussi très calme. Trop calme. Apparemment, les touristes ne se bousculent pas. Les lieux restent désespérément déserts. En même temps, peste un ancien habitant, “Tout est factice! Aucun de ces monuments ou temple n’est ancien!”. Tout a été bâti pour l’occasion, à l’exception d’une minuscule tour qui a réussi à réchapper à cette reconstruction historique. Même la grande muraille qui fait le tour de la ville est une construction récente, à destination des touristes. “Avant, on construisait ces murs pour protéger les villes des attaques extérieures. Aujourd’hui, ces murailles n’arrêteraient plus personne! Quel gâchis! Autant d’argent dépensé pour cela…”.
Des petits trains touristiques, eux aussi inoccupés, emmènent les rares visiteurs d’un temple à l’autre. Tout semble en effet formaté, interchangeable, sans âme. Et tout au long du trajet, une voix métallique rappelle bien les règles du jeu. “Interdit de faire ceci ou cela. Défense de… Ne pas toucher à… Ne pas marcher sur…”. Ca donne envie! D’ailleurs, quand un bus charrie enfin un groupe – un groupuscule tout au moins – de touristes, on les presse de prendre rapidement des photos pour respecter le timing de visite prévu. Ce ne sont pas eux qui vont faire tourner l’économie locale…
Assez cruellement, les cinéastes montrent le seul endroit peuplé de la zone, où un mini parc d’attraction est installé. Le train sur le manège transporte bien des passagers. Les allées sont pleines et les visiteurs consomment un peu de friandises avant de profiter d’attraction à la gloire de personnages de dessins animés nippons et de super-héros Marvel. Pour le bain de culture chinoise, on repassera!

C’est bien vers l’occident que regardent désormais les chinois, vers le modèle de l’économie de marché capitaliste, de la réussite économique qui permettra de s’offrir un réel confort matériel.
C’est en tout cas ce qu’ambitionne le jeune étudiant que suivent quelques temps les réalisateurs. Il travaille dur pour être admis dans la meilleure université possible, obtenir un diplôme d’ingénieur et trouver ainsi un métier bien rémunéré. En plus de ses heures de cours habituelles, qui débutent aux aurores, le jeune homme suit aussi des cours de perfectionnement jusqu’à 23 heures. cela ne lui laisse guère le temps d’aller déambuler dans le quartier touristique! Il souhaite avant tout réussir pour mettre à l’abri sa mère, qui a tout sacrifié pour son avenir, lui offrir le confort d’un de ces appartements luxueux qui surplombent la ville.
L’ironie de l’histoire, c’est qu’ils sont pour le moment tout aussi factices que le quartier touristique. Ils semblent en travaux depuis des années, laissés en plan en attendant que des habitants deviennent subitement assez riches pour se les payer ou qu’un gogo se laisse séduire par ce luxe artificiel.
Ici, tout est conçu pour flatter l’oeil, mais quand on y regarde de plus près, le projet est assez ridicule. L’agent immobilier essaie de faire l’article d’un concept immobilier dont le hall est équipé d’un système intelligent alertant les habitant en cas d’embouteillages – un gadget bien inutile dans une ville aussi vide… –, dont la cour centrale est dotée d’un lac privatif – il faut encore l’imaginer, car ce n’est encore qu’un trou boueux – et d’un  imposant parterre de fleurs… en tissu! Du factice, on vous dit…
Les vrais fleurs, elles sont plutôt dans la vieille ville, dans les vrais jardins. Hélas, ceux-ci sont laissés à l’abandon et les plantes se dessèchent, au grand désespoir d’un des habitants, qui voulait y trouver les plantes nécessaires à son traitement, issu de la médecine chinoise traditionnelle…

Tu parles d’une renaissance culturelle! Tout ce qui constituait l’âme du pays a été balayé. Des logis séculaires, ayant résisté à des tremblements de terre, ont dû céder la place à de faux vestiges, une image du passé totalement artificielle. Les plantes médicinales sont remplacées par des fleurs factices. Les traditions ne sont pas plus respectées que les personnes âgées, enfermées dans des appartements minuscules ou non-relogées alors que des dizaines de tours gigantesques, tout aussi vides que la zone touristique, ont été bâties.
A aucun moment, les cinéastes ne critiquent frontalement la politique des autorités chinoises. Il n’y a aucun commentaire en voix-off, juste le discours du président chinois louant ce “rêve chinois”. Ils ne verbalisent aucun jugement. Ce sont les personnes interviewées qui se chargent de commenter, par des petites phrases assassines, l’action gouvernementale et les projets d’urbanisme désastreux de Geng Yanbo, le décalage entre l’idée initiale, grandiloquente, et le résultat, un fiasco terrible.
Parfois, si on ne ressentait pas derrière tout cela, la main d’un gouvernement autoritaire, le film prendrait presque des allures de comédie burlesque. En fait, on n’est pas si loin du cinéma de Jacques Tati. On pense à Mon Oncle et l’opposition entre la maison sur les toits de Monsieur Hulot, près d’un terrain vague, et la maison moderne, pleine de gadgets grotesques, des Arpel. On pense à Playtime et à ses tours en verre monumentales, labyrinthiques et déshumanisées, symboles d’un progrès inarrêtable et de la fin d’un monde, d’une époque.

China Dream est un documentaire magistral, à la fois drôle et mélancolique, édifiant et terrifiant, qui dit beaucoup de choses par la simple force des images. Le dernier plan se veut plein d’espoir et d’optimisme. Au milieu des ruines, un arbre se dresse fièrement, solide, bien que balloté par les vents., les racines fermement ancrées dans la terre. Tout un symbole…

Autres avis sur le film :

”An insightful, contemplative and deeply provoking excursion into China’s ambition, politics and the great chasm between its people and its institutions”
(Rouvenn Linartz – Asian movie pulse)

Crédits photos : image fournie par le FIFF de Namur