De quoi ça parle?
De Catherine, une adolescente québécoise de 16 ans, et de son année rebelle, dans le tumulte post-grunge/néo-punk des années 1990, le chaos d’une cellule familiale en pleine implosion et la rencontre avec une bande de jeunes qui l’initient à la mescaline, puis à des drogues plus dures.
La jeune fille, jusque-là assez sage, voit ses parents se séparer pile le jour de ses seize ans, après une dispute homérique. Elle cherche à oublier ces difficultés en fréquentant un garçon de son école et son groupe d’amis, dont fait partie le dealer local. Le jour de son anniversaire, Catherine a reçu le livre “Moi, Christiane F., 13 ans, droguée et prostituée” et une grosse somme d’argent. Alors, pour se faire accepter par le groupe, mais aussi pour impressionner son amoureux, elle achète un peu de drogue, pour essayer. Les stupéfiants l’aident à se désinhiber et à voir la vie différemment, alors elle commence à en prendre régulièrement, et des doses de plus en plus importantes. Quand ses parents constatent que Catherine se drogue, sa descente aux enfers est déjà bien amorcée…
Pourquoi on est accros à cette héroïne?
Parce que l’actrice qui interprète Catherine, Kelly Depeault, livre une performance assez incroyable au vu de son jeune âge. On assiste au fil des scènes à la transformation d’une jeune fille sage, sans histoires et bien propre sur elle, en une femme délurée et provocante, coupe à la Mia Wallace dans Pulp fiction et bottes en peau de serpent – comme la veste de Nicolas Cage dans Wild at heart –, qui vit la plupart du temps alcoolisée et camée jusqu’à la moelle. Avec le manque d’expérience et de maturité, un tel rôle pourrait facilement prêter le flanc au cabotinage et virer au grotesque. Mais Kelly Depeault est crédible tout du long de ce douloureux récit initiatique. Elle est présente dans toutes les scènes, exposée, mise à nu par la caméra d’Anaïs Barbeau-Lavalette, toujours à bonne distance. C’est elle qui porte le film, jouant avec ce qu’il faut de fragilité et de sensibilité à fleur de peau, en restituant parfaitement le mal-être qui caractérise cette période de la vie, l’âge des premiers amours et des premières déceptions sentimentales, la découverte amère des problématiques de adultes.
Certes, elle n’est pas la première à livrer une prestation intense autour du même thème. Natja Brunckhorst, par exemple, était remarquable dans Moi, Christiane F. d’Uli Edel, mais cela n’enlève rien à la justesse de l’actrice canadienne, qui se donne corps et âme pour jouer le personnage imaginé par l’auteure Geneviève Petterson (1).
Ses partenaires sont également très bons. Caroline Néron et Normand D’Amour incarnent les parents de la jeune femme, tellement entraînés par leur relation conflictuelle, excessive et immature, qu’ils ne voient pas Catherine sombrer dans la drogue. Parmi les camarades de Catherine, on peut distinguer les performances de Eléonore Loiselle, la punkette camée qui, après avoir entraîné sa sage camarade à la prise de drogue, la suit dans sa spirale infernale, et de Robin L’Houmeau, le copain discret, qui traîne son regard mi-amusé, mi-désabusé sur les choses.
La mise en scène d’Anaïs Barbeau-Lavalette est au diapason du jeu de ses acteurs. Elle épouse le rythme de vie des personnages, alternant les moments planants, éthérés, où les personnages sont en plein trip, et ceux, plus speeds, où ces jeunes paumés laissent éclater leur faim de liberté et d’aventure, avides d’expériences intenses, pour se sentir vivants tant qu’il en est encore temps. La cinéaste ne se pose pas en moralisatrice. Elle observe ses personnages à bonne distance, les accompagne sans les juger. Pour autant, le film n’incite pas vraiment à la consommation de drogues dures. Une scène d’overdose bien âpre et le dénouement, forcément terrible, devraient se charger de dissuader les spectateurs d’essayer de jouer avec le feu.
Enfin, ce beau long-métrage s’appuie sur une bande-originale aux petits oignons, mélangeant morceaux de punk-rock et d’électro des années 1990 (Me, Mom and Morgentaler, Indica, Bratmobile, Les Breeders, Portishead…) à des classiques rock plus anciens (The Cramps, le “Ayoye” d’Offenbach, ici exécuté dans une version assez sauvage et “Voyage, Voyage” de Desireless, en version électro). La cinéaste s’amuse aussi avec des chansons qui ne manqueront pas d’évoquer des souvenirs aux cinéphiles, et notamment des films sur le thème de la drogue. On entend le “Rock’n roll suicide” de Bowie, dont le “Heroes” était déjà l’hymne de Christiane F. et de la bande du Zoo de Berlin, “You never can tell” de Chuck Berry, qui a donné la scène de danse culte de Pulp fiction, et plusieurs morceaux qui évoquent un peu la B.O. de Trainspotting.
Seuls grands absents, le groupe Nirvana et son leader, Kurt Cobain, dont l’ombre plane pourtant sur ce récit de jeunesse consumée à grande vitesse.
Tous ces éléments combinés donnent une oeuvre certes amère, douloureuse et funèbre, mais aussi pleine de vie, de bruit et de lumière. Au Québec, “mouche à feu” est le nom donné aux lucioles. Ces insectes ont vie très courte, mais parsemée de moments lumineux, comme probablement les jeunes personnages de ce récit, et comme ce petit film fragile et sensible.
(1) “La Déesse des mouches à feu” de Geneviève Petterson – éd. Le Quartanier
Autres avis sur le film :
”Oppressant et intense, La Déesse des mouches à feu frappe juste, transcendé par des interprètes de talent.”
(@Kev44600 sur Twitter)
”Une conversation entendue en sortant du film par des gens qui ont lu le livre avant laisse entendre que le film souffre de la comparaison.”
(@Polluxe sur Twitter)
”Plus qu’un récit initiatique, c’est une pulsion de vie, dans toute sa poésie et toute sa dureté, que parvient à émuler Anaïs Barbeau-Lavalette.”
(Anne-Frédérique Hébert-Dolbec, Le Devoir)
Crédits photos : copyright Laurent Guérin – images fournies par le FIFF de Namur