[Namur 2020] “Une vie démente” d’Ann Sirot et Clément Balboni

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De quoi ça parle ?

D’un couple de trentenaires, Alex et Noémie, qui voient leur projet de devenir parents contrarié lorsqu’on diagnostique à Suzanne, la mère d’Alex, une démence sémantique. Cette maladie neurodégénérative provoque la dégénérescence du lobe fronto-temporal. En clair, la septuagénaire perd la sens de certains mots, oublie des concepts acquis et se met à agir  de plus en plus comme un enfant ingérable, n’en faisant qu’à sa tête et cumulant les bêtises. Quand les enfants veulent devenir parents et que les parents retombent en enfance, la cohabitation devient vite invivable.

Pourquoi on trouve le film “dément”, dans le bon sens du terme ?

Parce que le film prend le contrepied de ce que l’on peut attendre d’un tel sujet.
Beaucoup de cinéastes auraient filmé le sujet de manière froide et clinique, en montrant le processus de dégénérescence avec plus ou moins de pudeur et en se focalisant sur le désarroi des proches, impuissants face à cette maladie incurable, avec des effets mélodramatiques plus ou moins appuyés. Ann Sirot et Clément Balboni montrent bien tout ce qu’implique cette terrible maladie. Les premiers symptômes inquiétants, l’annonce du diagnostic, la gestion de la dépendance de la malade, la dégradation assez rapide de son état nécessitant une attention de tous les instants et l’impact de cette situation sur la vie du couple. Mais, leur premier long-métrage s’avère étonnamment doux et serein, souvent drôle, lumineux et plein de vie, comme un pied de nez à la maladie et à la mort.

Le ton évolue plus souvent du côté de la comédie que de celui du drame. La scène de recrutement de l’aide à domicile idéal voit défiler des personnes psycho-rigides, des frappadingues imbus d’eux-mêmes pour aboutir à l’embauche d’un colosse au coeur tendre, amateur de musique classique en version métal. Et les bêtises de Suzanne (formidable Jo Deseure), bien que trahissant une aggravation de son état, nous extirpent souvent un sourire. Par exemple quand elle s’incruste chez des inconnus pour manger des tartines de confiture, sous leur regard éberlué, quand, une fois sa voiture confisquée par son fils, elle se bricole un faux permis de conduire avec du papier rose ou quand elle improvise une improbable reprise du slogan “Carglass répare, Carglass remplace!”.

Les cinéastes désamorcent également tous les moments où le couple réalise la gravité de la maladie de Suzanne et doit prendre des décisions compliquées. Dans ces moments-là, ils se retrouvent face à la caméra, parlant à un interlocuteur qu’on entend, mais qu’on ne voit pas : un médecin faisant passer des tests psychotechniques à Suzanne, puis lâchant le terrible diagnostic, un banquier inflexible qui demande à la famille de rembourser le découvert colossal accumulé par la septuagénaire,… Les mots sont souvent terribles, mais notre attention est détournée par le visuel. Car à l’écran, les personnages sont souvent habillés de façon assez similaire, dans des tenues assorties aux lieux. Comme s’ils cherchaient à se fondre dans le décor, s’y cacher pour ne pas être frappés de plein fouet par cette situation inacceptable, cette maladie trop lourde à gérer.

Dans le même ordre d’idée, les scènes d’intimité entre Alex et Noémie trahissent l’envahissement de la maladie sur leur quotidien et sur leur vie de couple.
Au début du film, Suzanne leur offre un nouveau lit – bien confortable, pour concevoir son petit-fils ou sa petite-fille dans les meilleures conditions – et une housse de couette à motifs floraux. Plus sa maladie progresse, plus les tensions apparaissent entre les deux conjoints. Les motifs floraux apparaissent aussi sur la couverture d’un livre , un pyjama…  Peu à peu, c’est une vraie jungle qui semble happer les personnages, étouffés par cette “vie démente” qui leur est imposée. Ce parti-pris esthétique audacieux s’avère au final une excellente idée, un moyen poétique et fantaisiste de symboliser l’impact de la sénescence de Suzanne sur la vie de toute la famille.

En tout cas, Alex se laisse clairement envahir par la déprime. Sa vie devient entièrement satellisée autour de la démence de Suzanne. Il n’y a plus de place pour sa compagne, ses amis, ou pour le projet de devenir parent. Il perd patience face au comportement obsessionnel de sa mère, ses bêtises à répétition, et est constamment à cran. On ne sait pas trop s’il refuse d’admettre l’évidence, la fin de vie de sa mère à plus ou moins brève échéance, ou s’il est déjà dans le deuil avant l’heure, ce qui l’empêche de vivre sa vie.
Finalement, il va avoir le déclic, accepter l’inéluctable destin de Suzanne et faire en sorte de rendre ses derniers instants aussi intenses et vivants que possible, sans se soucier du regard des autres.
C’est sans doute là la clé de ce beau film : Ne pas se laisser gagner par la déprime mais affronter les épreuves avec courage, humour et une certaine dose de poésie, permettre à la vie et à la fantaisie de l’emporter.

On sort de la projection un peu sonnés, émus par cette histoire qui trouvera résonnance chez beaucoup de spectateurs confrontés à des situations similaires, mais également apaisés, le coeur réchauffé par cette ambiance singulière et par ces personnages attachants, et emballés par la mise en scène du duo Sirot/Balboni, dont on attend désormais avec impatience les prochains films.

Autres avis sur le film :

”Le procédé d’invention du récit en collaboration étroite avec les comédien·nes offre un sentiment de vérité saisissant, et donne l’impression que tous, finalement, sont follement en vie – le titre international est d’ailleurs Madly in life.”
(Cinevox)

”On n’attend pas forcément d’une comédie titrée Une vie démente qu’elle nous offre un regard nuancé sur la maladie d’Alzheimer. C’est pourtant ce que nous proposent Ann Sirot et Raphaël Balboni”
(Adrien Corbeel – RTBF)

Crédits photos : Images tirées du film fournies par le FIFF de Namur