Cher Yves Robert
Vous ne le savez pas mais vous êtes entré dans ma vie un jour pour ne plus jamais en sortir. Non, nous ne nous connaissons pas, mais vous avez pourtant touché mon cœur comme peu de personnes en ont été capables. Votre fantaisie matinée de gravité, votre art de vivre et de le transmettre, votre humanité brute, votre bonhomie, la force de vos personnages et votre faculté à rendre vrai le faux, vous m'avez terrassé cher Yves Robert et je n'en suis jamais revenu. La farandole de vos films forme dans mon inconscient une ronde douce et sincère dont certains actes me délectent au plus haut point et le temps passant, ce sentiment perdure sans jamais baisser d'un iota. On appelle cela l'amour, la passion ou moins cérémonial peut-être mais pas moins intense, l'amitié. Vous l'avez portée haut cet étendard de l'amitié et du bon vivre entre copains vous les avez sublimées ces relations qui pouvaient être viriles mais qui n'étaient jamais dénuées d'affect, avec toujours cette émotion à fleur de peau qui fait encore aujourd'hui passer des frissons incomparables sur les échines de vos admirateurs et qui faisaient le fiel de vos contempteurs.
Et pourtant vous en donniez du bonheur avec une générosité sans bornes, celle qui pousse parfois à faire des choix hasardeux mais qui jamais ne vous ressemblaient pas. Vous offriez par poignées entières ces sentiments capitaux à nos vies malmenées et vous tendiez un miroir rafraîchissant à nos petites lâchetés quotidiennes. Nous vous aimons inconditionnellement pour ces cadeaux inestimables que vous avez patiemment construit et qui aujourd'hui encore essaiment de la joie et du plaisir. Ce qui fait aussi le prix de votre œuvre c'est la profondeur qu'elle referme sous le vernis de la comédie car vous n'esquiviez pas les larmes et la tristesse mêlées d'une pudeur qui vous honore. Jamais de voyeurisme dans votre mise en scène, jamais de pose mais le respect d'un art confectionné par un de ses plus talentueux artisans.
Notre histoire commune cher Yves Robert, nous la devons à deux de vos films qui, si ils ne sont pas les premiers de votre filmographie que j'ai découvert, sont ceux qui m'ont le plus terrassé de bonheur tant ils tutoient à mes yeux la perfection absolue : Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au Paradis. Drôles, émouvants, vivants... si l'écriture de Dabadie enrobe de poésie ces deux chefs-d'œuvre -n'ayons pas peur des mots-, si l'interprétation de votre extraordinaire quatuor est étourdissante de justesse et de précision, n'oublions pas la virtuosité du chef d'orchestre que vous êtes, la précision d'orfèvre de votre direction d'acteurs et votre fantaisie qui irrigue chaque scène.
Évidemment d'autres films que vous avez signé sont chers à mon cœur : Les copains, Le grand blond avec une chaussure noire, salut l'artiste où Courage Fuyons par exemple mais je tiens en très haute estime également votre travail de producteur qui, de Que la fête commence à Qu'est-ce qui fait courir David? en passant par Le peuple migrateur a démontré que vous ne craigniez pas de vous lancer dans des aventures qui n'étaient pas évidentes de prime abord. Comme lorsque avec votre ami Gilbert de Goldschmidt, vous avez présenté dans les pays de langue française les films des Monty Python et pour ça évidemment un simple merci ne sera jamais suffisant. De votre fructueuse carrière de comédien je retiendrais deux films : Le cinéma de Papa de Claude Berri et Un mauvais fils de Claude Sautet. Deux rôles de père, l'un adoré par son fils, l'autre qui n'arrive pas à communiquer avec le sien. Vous y étiez déchirant, éclaboussant de votre humanité ces deux personnages splendides que vous habitiez avec une profondeur peu commune. On ne pouvait vous en aimer que davantage après avoir vu ces deux films magnifiques.
Cette lettre tourne à la dithyrambe mais que voulez-vous, on ne se refait pas. Vous faisiez du Cinéma POPULAIRE comme on dit, un cinéma que certains accueillent en se pinçant le nez de peur qu'il ne les éclaboussent de son humanisme et de sa sincérité. Vous en étiez fier, vous le portiez en bandoulière ce cinéma pour le plus grand nombre qui était votre marque de fabrique. Depuis qu'on ne peut plus dire qu'on va voir "le dernier Yves Robert" j'ai un peu plus mal à mon cinéma français mais vous avez fait monsieur, une œuvre éblouissante qui m'aura mis dans le cœur une dose de bonheur qui n'a pas de prix.
Votre dévoué Fred Teper.
Le cinéma entre copains de Jérôme Wybon est présenté au Festival Lumière 2020 et sera diffusé prochainement sur OCS.
Parcourir la carrière d'Yves Robert, c'est raconter une histoire de la comédie de qualité dans le cinéma français, des années 50 aux années 80. Réalisateur de classiques comme La Guerre des boutons, Le Grand Blond avec une chaussure noire ou Un éléphant ça trompe énormément, il a aussi signé quelques joyaux moins connus, comme Les Copains, Alexandre le Bienheureux, Clérambard, ou Salut l'artiste. Le documentaire raconte le parcours d'Yves Robert, ses amitiés au long cours avec Claude Sautet, Jean-Loup Dabadie et Jean Rochefort, sa curiosité et son amour du cinéma, lui qui a produit les premiers films d'Alain Cavalier, de Bertrand Tavernier, de Jean-Paul Rappeneau, lancé la carrière de Pierre Richard et même distribué en salles les premiers films des Monty Python.