Visions du réel 2019
Grand Angle
Sortie nationale le 14 octobre 2020
Alors que les premières lueurs du jour naissent à l’horizon, les landes néerlandaises sont encore couvertes d’une brume matinale. Dans cette quiétude automnale, Stijn Hilgers s’éveille aux côtés de son troupeau de moutons. Sillonnant des paysages aux allures de paradis perdus, l’un des derniers bergers traditionnels des Pays-Bas évoque la mélancolie d’une vie simple, aspirant à une liberté absolue, jadis atteignable. Il amorce ainsi le désenchantement d’un monde pastoral voué à disparaître au profit d’une industrialisation croissante anéantissant, sous les vrombissements d’un excavateur, la sérénité immémoriale de ce tableau bucolique. Épaulé par sa femme Anna, Stijn lutte au quotidien contre des lobbies capitalistes incitant à la surproduction et contre des décrets administratifs accélérant l’éviction de la figure du berger.
Cette rupture dissonante entre monde citadin et monde paysan se cristallise autour d’une séquence aux atours burlesques : la traversée des villages voisins pour atteindre un nouveau lieu de pacage. Face à la colère d’habitants obnubilés par l’ordre et la propreté, le visage de Stijn se crispe, ses yeux deviennent menaçant et ses lèvres dessinent un rictus. La caméra de Ton van Zantvoort enserre son visage, y notant à même la peau les moindres attaques à un enthousiasme de façade dissimulant un entêtement aveugle dans une profession érigée en art de vivre. Le berger retrouve un statut social qu’à partir du moment où il devient folklore, c’est-à-dire un ensemble de souvenirs pittoresques et capitalisables pensés pour, et finalement par, les citadins. Une situation dont le cynisme atteint son paroxysme lors du passage de Stijn dans l’émission néerlandaise « Les Chelous », entérinant un déclassement sociétal et politique.
Captivé par le personnage de cow-boy maudit que représente Stijn, No Way s’écarte des sentiers tracés de la lutte écologique pour dresser le portrait d’un monde agricole désillusionné et rongé lentement par l’amertume – à l’instar de cette séquence désabusée où Stijn regarde des tutoriels pour apprendre à désosser un mouton le soir de la Saint-Nicolas. Néanmoins, la centralité de Stijn, comme porte-étendard d’une marginalité paysanne, estompe les tenants et les aboutissants d’un combat politique dont les contours restent flous. Composant la figure d’un martyr résistant à l’anachronisme, Ton van Zantvoort se désintéresse des mécanismes de domination et des discours idéologiques dont les suites façonnent pourtant le chemin de croix vécu par Stijn.
À la frontière de l’anecdote, No Way reste constamment à hauteur de son personnage – ancré dans une réalité dont la rudesse éprouve les corps et les esprits. Ton van Zantvoort tisse, à la manière des peintres romantiques, un lien souverain entre le berger et le territoire, unis par le déclin symbolique d’une lumière hivernale laissant les landes néerlandaises orphelines.
Le Cinéma du Spectateur
☆☆ – Moyen