Après s'être fait remarqué avec son premier long métrage "Le Ballon Blanc" (1995) récompensé de la Caméra d'Or au Festival de Cannes 1995, le réalisateur-scénariste iranien Jafar Panahi est devenu un des plus grands nom du cinéma iranien à l'instar de Abbas Kiarostami dont il a été assistant sur "Au Travers des Oliviers" (1994), mais aussi et surtout de la seconde Vague iranienne avec Samira Makhmalbaf ("Le Tableau Noir" en 2000), Ebrahim Forouzeh ("Le Petit Homme" en 1998) mais aussi Asghar Farhadi ("À Propos d'Elly" en 2009). Après son second film "Le Miroir" (1997), Jafar Panahi revient avec un troisième projet qui va définitivement le placer parmi les grands noms du cinéma oriential. Précisons toutefois que le film a été censuré en Iran et que ça ira de pis en pis pour le cinéaste jusqu'à l'année 2010 où il sera condamné à 6 ans de prison et 20 ans d'interdiction de tourner, mais c'est une autre histoire. Panahi co-signe le scénario avec Kambuzia Partovi, poète et scénariste iranien qui signera son unique long métrage avec "Cafe Transit" (2005).
Ce nouveau film est avant tout féministe, ce qui n'est pas une mince affaire dans un pays où la Charia est la norme... 2000, après quelques instants dans une maternité où une naissance n'est pas forcément l'heureux événements attendus, ensuite on suit trois femmes tout juste sorties de prison qui tentent de fuir vers une région plus accueillante, une femme se retrouve prisonnière du système car elle ne peut voyager seule sans une autorité masculine... On suit ainsi, au fur et à mesure plusieurs femmes qui doivent survivre, faire des choix, oser ou non dans un monde patriarcal où elles n'ont aucun pouvoir décisionnaire, aucune position sociale forte... La plupart des rôles principaux sont tenus par des actrices débutantes qui jouent là leur unique film. Citons ses femmes magnifiques, pêle-mêle Nargess Mamizadeh, Maryiam Palvin Almani, Mojgan Faramarzi, Elham Saboktakin, Monir Arab... Trois actrices sont un plus connues, Maedeh Tahmasebi vue entre autre dans Santuri" (2007) de Dariush Mehriui et "Khers" (2012) de Khorso Masumi, Fatemeh Naghavi vue dans "Shirin" (2008) de Abbas Kiarostami et "Paradise" (2015) de Sina Ataeian Dena puis, surtout, l'actrice Feresteh Sadre Orafaiy qui était déjà dans "Le Ballon Blanc" et qui jouera dans "Cafe Transit" réalisé par son époux cité plus haut... Au vu du sujet, et au vu de ce qu'on sait des conséquences terribles pour le cinéaste iranien depuis plusieurs années, il faut saluer le courage et l'audace d'un tel film dans le Iran contemporain. La thématique centrale du film est la condition féminine au sein d'un pays dont la Charia ("loi islamique") est la seule règle et donc place la femme dans un statut d'être inférieure qui ne peut rien faire ou rien entreprendre sans une autorisation masculine.
Jafar Panahi ne débute pas pour rien son récit dans une maternité, symbole du seul acte où elle est au-dessus de l'homme, mais qui s'avère punie si tout ne se passe pas comme prévu. Une trappe se referme ainsi après l'annonce tragique : le bébé est une fille et pas le garçon tant attendu ! Les trois prisonnières est un segment particulièrement parlant. Trois femmes qui ont normalement payées leur dette à la société, mais on devine que l'infraction doit être bien mince vu d'Occident chrétien, et même si elles sont libres elles vivent constamment dans la peur et elles prisonnières des "convenances", et du pouvoir omniprésent des hommes. Le cinéaste aborde également la question de la prostitution, pas frontalement mais de façon subtile, en démontrant toute l'hypocrisie autour de cette question dans cette société sous Charia. Le réalisateur-scénariste brosse des portraits de femmes comme autant de facettes différentes d'une même face, celui de la femme sous le poids de la Charia. Des femmes discrètes même dans leur rébellion (si tant elle ose !), des femmes assujetties à l'homme quoiqu'il arrive, des femmes sans libertés aucune, à peine ont-elles le droit à la parole (le ton, les mots choisies... etc...), des femmes qui ont avec ce film une fenêtre sur le monde, ou plutôt une vitre sans tain. Panahi signe un drame fort, intelligent, sans avoir besoin de trop expliquer, d'être trop démonstratif, il réalise une "Ronde" (Ophüls !) sans amour, mais où se mêle sororité et soumission à l'homme. Un film qui se termine par un judas de porte qui renvoie ainsi à la trappe de la maternité, l'histoire d'un cercle qu'on espère pas infini. Un film nécessaire, avec des actrices magnifiques, tourné le plus souvent dans la clandestinité, à voir forcément et à conseiller évidemment. Film récompensé judicieusement par le Lion d'Or au festival de Venise 2000.
Note :