(Critique - sans spoilers - de la mini-série)
Une année n’est jamais réussie tant qu’une nouvelle adaptation d’une œuvre d’Agatha Christie ne sort sur petit ou grand écran. La sortie de Mort sur le Nil de Kenneth Branagh étant plus qu’incertaine en fin d’année, nous pouvons nous plonger allègrement dans la nouvelle production M6, une adaptation du livre Ils étaient dix, le chef-d'œuvre intemporel de l’autrice. Cinq ans après la version de la BBC, mini-série découpée en trois parties, créée par Sarah Phelps, c’est à Pascal Laugier à qui l’on confie le projet. Un choix surprenant. Le réalisateur de Martyrs et Ghostland n’est pas celui qui vient à l’esprit pour mettre en image l'œuvre christienne, synonyme de divertissement grand public et de cozy mystery. Pourtant, il peut faire sens quand on connaît l’histoire du célèbre huis-clos, récit sombre où l’être humain dévoile sa part d’ombre, sa perversité, ses limites. Disponible sur la plateforme française Salto, et bientôt diffusée sur la chaîne M6, que vaut cette énième adaptation ?
Copyright Caroline Dubois/M6
Alors que la Seconde Guerre mondiale fait rage, Agatha Christie sort un nouveau roman, qui deviendra par la suite son livre le plus vendu. Avec une structure simple, sa caractéristique, Ils étaient dix raconte comment dix inconnus se retrouvent sur une île déserte, pour être tués un à un. Un piège rythmé par une comptine, comme un jeu pervers qui ne peut être interrompu. Sophie Révil, productrice sur la série Les petits meurtres d’Agatha Christie, obtient de l’arrière petit-fils de l’autrice, nouvel ayant-droit, la permission d’adapter plus librement le livre. L'histoire est alors transposée de nos jours, sur une île tropicale des DOM-TOM. Pour obtenir un récit plus contemporain et actuel, les co-scénaristes Jeanne Le Guillou et Bruno Dega ont changé les personnages (avec une parfaite parité), leurs histoires personnelles et ont aussi éliminé la comptine, pour obtenir un rythme plus libre, qui doit tenir sur six épisodes.
Copyright Caroline Dubois/M6
Pascal Laugier transforme l’histoire en cauchemar horrifique, tirant sur les codes du slasher, qui a pour but de dynamiser et donner un coup de jeune à une histoire du siècle dernier. On pense alors à Scream, grâce au tueur, invisible dans le livre, ici une figure vêtue de noir et encapuchonnée. Ou à Souviens-toi...l’été dernier, grâce au flash-back des personnages, pour nous expliquer d’où ils viennent et pourquoi ils se font tuer. Une bonne idée, qui fonctionne dans les tous premiers épisodes, grâce au suspens (peut-être gâché si vous connaissez l’histoire par cœur). Malheureusement, les frissons sont peu au rendez-vous, avec une action très prévisible. La patte du réalisateur est très (trop) légère, pour élever les péripéties. L’idée des flash-back, qui donne il est vrai un contexte intéressant aux personnages, nous sort de l’atmosphère angoissante cependant. Malgré le fait qu’on en sache plus sur eux, les clichés sont pourtant au rendez-vous dans la caractérisation un peu plus progressiste que le matériau de base. Les personnages sont alors presque génériques et nous empêchent de ressentir de l’empathie. Il est dommage de ne pas avoir gardé le huis-clos, avec le parallèle des deux policiers menant l’enquête, une digression inutile et “too much”. La direction artistique et l’île tropicale donnent à la mini-série un côté “Koh-Lanta” qui la dessert : les totems, le décor, le côté survie. Le spectateur attend presque la voix-off de Denis Brogniart...Copyright Caroline Dubois/M6
Pourtant, la magie fonctionne, si l’on veut bien se laisser berner. Le rythme soutenu (qui se perd dans les deux derniers épisodes) est une belle promesse de passer un bon moment devant, comme tout bon vieux cozy mystery finalement. Si ce n’était peut-être pas le but, Pascal Laugier arrive à retranscrire l’effet des livres de Agatha Christie, que l’on dévore enroulé dans un plaid moelleux. Ils étaient dix doit se voir comme le divertissement qu’il est, à visionner le soir pour se détendre et aiguiser ses petites cellules grises. Arriverez-vous à trouver le meurtrier avant le clap de fin ?
Laura Enjolvy