[On the rise]
De quoi ça parle ?
De la vie de couple, à l’épreuve du temps, de la routine et des aléas de la vie. D’une “brève rencontre” muée en histoire d’amour contrariée et son cortège de regrets. De crashs d’avions et d’automobiles. De littérature et de cinéma. Du succès d’un médicament anti-dépresseur et de maximes philosophiques qui aident à supporter les affres de l’existence.
Pourquoi on aime pour de vrai ?
Parce qu’il s’agit d’un objet cinématographique totalement atypique et fascinant, porté par des choix esthétiques sacrément audacieux.
Le récit s’articule essentiellement autour d’images d’archives muettes issues de films de famille allant du début des années 1940 jusqu’à la fin des années 1970, complétées par deux films d’actualités d’époque – des images de combats aériens lors de la seconde guerre mondiale, le tragique accident des 24 heures du Mans 1955. Ces films de famille sont supposés être ceux de Léon Barrett, ancien aviateur suisse devenu, après un accident l’empêchant d’exercer son métier, entrepreneur pharmaceutique aux Etats-Unis grâce au succès d’un anti-dépresseur baptisé “Lovedyn”. Ce sont des films de familles assez banals, décrivant des moments entre amis, dans leur chalet suisse bourgeois ou des moments de détente en couple, lors de vacances en Italie, en Espagne, aux Etats-Unis ou sur les pistes enneigées des montagnes suisses.
Aucune musique n’accompagne ces images, juste quelques sons – le clapotis des vagues, les rouages d’une locomotive en action… Aucune voix-off non plus pour commenter l’action, mais en sous-titre, les extraits du journal intime de Vivian Barrett, l’épouse de Léon, vienne apporter un contrepoint à l’image de couple heureux et sans histoires formé par les deux protagonistes.
Vivian raconte qu’elle n’a pas pu avoir d’enfants – l’un des regrets de sa vie -, qu’elle a tout fait pour aider son mari à retrouver un peu le goût de vivre après son accident d’avion, qu’elle s’est d’abord enthousiasmée pour ses nouvelles passions – la navigation et la réalisation de films familiaux – avant de ressentir un certain ennui, véritable poison pour son couple. Quand elle sourit sur les films de vacances, elle cache son agacement contre cet homme qui, à force de tout observer par le prisme de la caméra, finit par ne plus rien vivre, plus rien partager avec elle. Petit à petit, malgré les nombreux voyages effectués par le couple, Vivian semble avoir des envies d’ailleurs. Un autre homme, rencontré à Majorque, lui offrira cette possibilité. Mais dans ces années-là, on ne quittait pas si facilement son mari et sa vie bourgeoise. Il y a un peu de Brève rencontre ou de The deep end of the ocean dans cette histoire de vie gâchée, malgré l’impression de bonheur sans nuage laissée par les images. Peu à peu, on saisit tout le désespoir de cette femme enfermée dans une cage dorée, sa dépression probable, que même le médicament de son mari ne saurait soigner. Seules les paroles de Paravadin Kanvar Khajappali, auteur d’un petit livre de pensées philosophiques qu’elle a découvert des années auparavant, lui permettent d’affronter sa vie morne et sans passion.
Le décalage entre les images et le texte fait son petit effet. Malgré la forme aride du métrage, on finit par être bouleversés par cette histoire poignante, par le destin de cette femme qui a dû mettre ses sentiments sous étouffoir, pendant de nombreuses années.
On en viendrait presque à saluer le travail de documentariste de Nuria Gimenéz, qui a su trier les images d’archives d’une vie et les entrelacer avec ce texte intime, déchirant d’authenticité. sauf que tout ceci est parfaitement factice! Il ne s’agit pas d’un documentaire mais d’un documenteur.
Vivian Barrett n’existe pas – pas celle-là, en tout cas – pas plus que son Léon de mari. Mais le couple présent à l’écran a bel et bien existé. Il a eu au moins un enfant puisqu’il s’agit des propres grands-parents de la réalisatrice, Frank A. Lorang et Ilse G. Ringier, et l’histoire ne dit pas s’ils ont vécu un bonheur conjugal radieux ou une vie de couple chaotique. Ce sont bien leurs films de vacances que l’on voit à l’écran, mais il n’existe pas de journal intime, si ce n’est celui qui est né de la plume de Nuria Giménez.
Tout le film tourne autour de l’idée du mensonge : faux documentaire, faux journal intime, autour de personnages qui vivent dans le mensonge, l’illusion du bonheur conjugal. Même le médicament commercialisé par Léon – qui n’a bien évidemment jamais existé – s’avère, dans le film, un placebo sans aucune efficacité. Heureusement qu’il reste les écrits de Paravadin Kanvar Khajappali… Ah, eh bien non en fait, car non seulement il n’existe pas plus que les autres personnages du film, mais même dans le docu-fiction, il est révélé que c’était un affreux plagiaire ayant puisé chez d’autres philosophes ses pensées profondes sur la vie, l’amour et la foi. Les seules choses authentiques sont les images d’archive des 24 heures du Mans 1955, évènement auquel Frank et Ilse semblent avoir réellement assisté – mais rien n’est moins sûr.
C’est donc une oeuvre totalement manipulatrice, factice, fabriquée, mais qui parvient à nous toucher aussi fortement que s’il s’agissait d’une histoire vraie. N’est-ce pas là l’essence du cinéma – de fiction, bien sûr, et même de documentaire, qui impose un point de vue – que de travestir la réalité pour faire naître une forme de vérité, par le biais d’émotions bien réelles? On ne peut pas reprocher à la cinéaste d’avoir annoncé la couleur, puisque tout le propos de ce film malicieux est contenu dans l’intertitre initial, qui fait office de prologue : “Lies are another way of telling the truth” (“Le mensonge est une autre façon de dire la vérité”). Elle est signée, bien sûr, de Paravadin Kanvar Khajappali…
My Mexican bretzel constitue une expérience assez exceptionnelle. Peu de cinéaste ont réalisé des films à partir d’archives personnelles, en tout cas, aucun avec ce niveau de pseudo-authenticité. Le résultat est assez bluffant et trouve tout à fait sa place dans la sélection du Festival du Film de Mannheim-Heidelberg, qui cherche à promouvoir l’audace et les nouvelles formes narratives.
Autres avis sur le film
”My Mexican Bretzel de l’Espagnole Nuria Gimenez est un émouvant journal intime et une passionnante réflexion sur le réel et le mythe”
(Nicolas Bardot, Le Polyester)
”Du fait de cette proposition aussi évocatrice qu’audacieuse, le spectateur devient également acteur de ce film, car il doit mettre un timbre de voix sur les mots qu’il lit à l’écran, et même du son sur cette grande partie du métrage où celui-ci existe à peine.”
(Alfonso Rivera, Cineuropa)
Crédits photos : copyright Bretzel & Tequila