[Pushing the boundaries]
De quoi ça parle?
Des travaux dont sait quand ça commence, mais pas comment ça finit. Et d’une danse innocente (à priori), aux conséquences (forcément) dramatiques.
Laura (Gloria Carra) a décidé de faire construire un barbecue en béton dans sa résidence secondaire, une propriété isolée proche de l’océan Atlantique. Elle est venue seule, sans son mari et ses enfants, pour superviser les travaux, confiés à l’équipe de Weisman (Jorge Sesan). Au début, tout se passe bien. Les ouvriers semblent travailler rapidement et consciencieusement. Elle se prélasse donc en dansant seule dans son salon, un verre de vin à la main. Weisman la rejoint et essaie ouvertement de la séduire. D’abord réticente, elle décide de prendre du bon temps et passe la nuit avec elle. Elle ne sait pas qu’elle vient d’ouvrir la boîte de Pandore… Au petit matin, l’homme disparaît et ne réapparaît pas les jours suivants. Il ne répond plus aux appels de sa cliente. Ses ouvriers indigènes, eux, sont bien là pour continuer les travaux, mais ils semblent désormais ne plus du tout la respecter. Non seulement, ils lui parlent de façon insolente et presque insultante, multipliant les remarques graveleuses, mais ils pénètrent de plus en plus souvent dans la maison, touchant à ses affaires et atteignant à son intimité. La tension monte peu à peu, jusqu’au drame…
Pourquoi le film est au-dessus du niveau de la mer?
Déjà pour son premier plan, joliment exécuté. La caméra filme les vagues qui déferlent sur la côte, survole la plage, puis le jardin de Laura, avant de s’arrêter devant ses fenêtres, comme si un tsunami s’abattait subitement sur cette quadragénaire. Elle ne le sait pas encore, mais à cet instant, sa vie est en train de basculer irrémédiablement. Dans quelques jours, plus rien ne sera comme avant.
Ensuite parce que, malgré un rythme général un peu trop lent, ce thriller social est assez rondement mené.
L’opposition entre Gloria Carra, parfaite dans la peau de cette bourgeoise perdant peu à peu le contrôle de la situation, et Cristian Salguero, qui incarne avec intensité Toto, l’ouvrier le plus terrifiant du groupe, celui qui semble le plus insolent et le plus vicieux, permet une montée progressive de la tension. Plus les ouvriers se montrent intrusifs et menaçants, plus on craint pour la sécurité de Laura, totalement isolée et désarmée.
Mais alors que le film semble respecter à la lettre la trame d’un “home invasion” classique, Veronica Chen décide de faire bifurquer son film vers une autre voie, explorant à sa façon, assez corrosive et glaçante, la notion de classe sociale. Les rapports de force s’équilibrent, puis s’inversent, nous conduisant à douter de qui est l’oppresseur et qui est l’opprimé.
Peu à peu, la mise en scène évolue. La caméra, d’abord encline à multiplier les gros plans sur Laura, prend du recul, capte l’action de façon beaucoup plus distante, froide et clinique, à la façon d’un Jaime Rosales ou d’un Michael Haneke. Cela ne donne que plus de force à l’irruption de la violence physique, inéluctable après de longues minutes de violence psychologique et de tension nerveuse.
On comprend que l’intrigue est surtout l’occasion d’un portrait de femme recherchant une forme d’émancipation, une façon de reprendre le contrôle de sa vie et de rééquilibrer son couple. Laura semble certes en danger, sous la menace que semblent constituer les regards haineux et lubriques de Toto et son acolyte, mais elle se complait dans cette position de victime. Elle a plusieurs fois l’occasion de mettre un terme à cette situation, en appelant la police ou en demandant à son mari de venir sur place, mais elle entend gérer elle-même la situation, reprendre l’ascendant sur les hommes qui l’entourent et imposer enfin le respect aux autres.
La morale de cette fable sociale grinçante ne plaira sans doute pas à tous les spectateurs, mais la conduite du récit de Veronica Chen, sa maîtrise de la mise en scène, et la complexité des thématiques abordées derrière cet emballage de thriller classique font de Marea alta une belle réussite.
Autres avis sur le film
“A heady mix of class, racial and gender politics add up to a zero sum game in Verónica Chen’s unsettling but unsatisfying Argentinian drama.”
(Jessica Kiang, Variety)
”Chen se montre plutôt habile dans cette farce sociale, aidée par le charisme naturel de son actrice Gloria Carrá.”
(Nicolas Bardot, Le Polyester)
Crédits photos : copyright Veronica Chen / Buffalo Films / Vega Cine / Prisma