[Pushing the boundaries]
De quoi ça parle ?
De l’irruption d’un couple d’anarchistes libertins dans la vie bien rangée d’une famille de fermiers puritains, dans le Shropshire du milieu du XVIIème siècle, peu après la prise de pouvoir d’Oliver Cromwell en Grande-Bretagne, et de ses conséquences assez dévastatrices.
Mais aussi de l’émancipation d’une femme, Fanny Lye (Maxine Peake), qui va, grâce à ces évènements, se trouver libérée de sa vie d’épouse modèle après des années passées à servir le maître des lieux, un homme froid et autoritaire (Charles Dance).
Pourquoi on est (un peu) fans de Fanny ?
On avait un peu oublié Thomas Clay qui, après deux premiers longs-métrages remarqués pour leur violence, The Great ecstasy of Robert Carmichael et Soi Cowboy, présentés au Festival de Cannes en 2005 et en 2008, avait totalement disparu de la circulation.
C’est donc un peu une surprise de le voir aujourd’hui signer son grand retour avec un drame historique, prenant pour décor l’Angleterre rurale et puritaine du XVIIème siècle. Un cadre à priori assez éloigné de l’univers âpre et brutal des deux films précités, mais à priori seulement…
Le cinéaste peu à peu basculer le récit – axé autour des tâches ménagères de Fanny sous le regard dominateur de son mari – avec l’irruption de Thomas (Freddie Fox) et Rebecca (Tanya Reynolds), nus et épuisés, dans la ferme du couple Lye. Ils affirment avoir été dépouillés par des brigands, roués de coups et abandonnés un peu plus loin et réclament l’asile pour quelques jours, le temps de se remettre de leurs émotions. D’abord méfiant, le propriétaire des lieux accepte toutefois de les héberger, notamment parce qu’il se laisse persuader par Thomas qu’ils ont été frères d’armes dans l’armée de Cromwell, lors de la chute du Roi Charles Ier. Au début, la cohabitation se passe plutôt bien, mais les masques finissent par tomber. Thomas et Rebecca sont en fait des fugitifs recherchés par la police locale Haut-shérif du Conseil d’état. Ils sont soupçonnés non seulement d’avoir participé à une orgie libertine dans une auberge, à quelques heures de route de là, mais également d’être des dissidents, des hérétiques opposés aux croyances religieuses traditionnelles. Une fois démasqués, ils se montrent assez peu reconnaissants envers leurs hôtes. Ils menacent de trancher la gorge de leur jeune fils s’ils ne se montrent pas dociles et coopératifs, puis humilient le maître des lieux avant d’initier Fanny à leurs jeux libertins sous le regard dégoûté de son mari.
Le malaise et la tension vont crescendo et on se doute que tout cela va très mal finir, sans que l’on sache immédiatement d’où vient le plus grand danger. Du couple d’hérétiques? De John Lye, aveuglé par sa soif de vengeance après les outrages subis? Ou bien du shérif et de son sens très particulier de la justice?
La violence met du temps à faire irruption dans le récit, assez corseté, aussi austère et dépouillé que ses personnages principaux, mais quand elle surgit enfin, le cinéaste n’y va pas avec le dos de la cuillère. Avec ce final brutal et sanglant, le drame historique cède définitivement place à un mélange de thriller horrifique et de western sauvage, âpre comme un film de Peckinpah.
Le personnage de Fanny prend alors une ampleur insoupçonnée, comme si toute cette tension, toute cette violence, lui faisait enfin ouvrir les yeux sur le monde qui l’entoure et sur ses propres émotions, trop longtemps réprimées. Elle devient le symbole d’une époque troublée, ballottée entre les courants religieux et politiques, entre liberté individuelle et carcans sociétaux. Celle de l’Angleterre du milieu du XVIIème siècle et sa première expérience hors du système monarchique. Et peut-être, quelque part, le symbole de notre propre époque, tout aussi troublée, où les droits des femmes sont encore trop souvent bafoués ou cadenassés par des traditions patriarcales tenaces.
Le film peut s’appuyer sur la performance de Maxine Peake, impeccable dans ce rôle de femme qui prend son destin en main, et celle de Charles Dance, tout aussi convaincant en tyran domestique qui voit son autorité contestée et piétinée allègrement.
Il peut aussi compter sur les compositions visuelles de Thomas Clay et de son chef-opérateur, Giorgos Arvanitis.
A l’arrivée, il s’agit d’un objet cinématographique singulier, qui divisera probablement le public, soit à cause de son final brutal soit de sa structure assez austère, qui prend un peu trop son temps pour dévoiler ses véritables intentions. Mais il ne peut en être autrement avec un cinéaste dont chacune des réalisations bouscule et provoque le débat.
Autres avis sur le film
“It is an arresting film, although a bit programmatic, with narrative turns that can broadly be predicted. Yet the lead performance by Peake holds it together: fierce, strong, intelligent – a convincing depiction of someone who will learn from what she will survive.”
(Peter Bradshaw, The Guardian)
”Fanny Lye Deliver’d is a slow and meditative film of religion and sex in a foggy historical landscape. It is an uneven effort, but so beguiling in its moment.”
(Darren Carver-Balsiger sur Letterboxd)
crédits photos : copyright Pull Back Camera Ltd.