De David Fincher
Avec Gary Oldman, Amanda Seyfried, Lily Collins
Chronique :
David Fincher, qu’on dit en petite forme lorsqu’il réalise l’un des thrillers claustrophobiques les plus stylés de ces 20 dernieres années (Panic Room), s’attaque avec Mank à la genèse de Citizen Kane, élevé au fil du temps au rang de plus grand film de tous les temps.
De fait, Mank doit fondamentalement être regardé à travers le prisme de la mise en abîme. Par son sujet évidemment, un film dans le film, mais on y reviendra. Mais aussi par la manière dont la période que couvre Mank résonne avec la nôtre. Fincher a dû se tourner vers Neflix pour produire un film que les studios classiques ont refusé de financer. Que son film se retrouve sur une plateforme de streaming est un tournant pour l’industrie, comme l’était la réorganisation des studios au lendemain de la Grande Depression avec l’apparition des syndicats et la création des « Guild ». Deux révolutions à presque un siècle d’écart.
Mais c’est en disséquant le processus créatif qu’il exprime encore plus nettement cette mise en abîme. Car on retrouve dans Mank les grandes figures ayant inspiré les personnages qui hantent Citizen Kane. Lorsque Herman J. Mankiewicz se voit commander par Orson Wells le scénario de son prochain film avec livraison exigée sous 2 mois, il est cloué au lit, à moitié paralysé après un accident de voiture et peu enclin à régler ses problèmes avec l’alcool qui l’ont déjà sensiblement mis au ban d’Hollywood. L’écriture de Citizen Kane sera pour lui l’occasion de se replonger dans ses souvenirs et de les travestir pour en faire le socle de son script tout en y réglant quelques comptes. Kane est ainsi le calque fictif du magnat de la presse William Heast, initiateur des fake news (nouvelle résonnance à peine voilée à notre temps) dont la position et le pouvoir lui permettent d’influer sur la vie politique locale. Mais c’est peut-être sa relation platonique avec la maitresse de Heast, Marion Davies, qui sera sa plus grande source d’inspiration et symbolise à elle seule les contradictions de Mankievitch et ses conflits intérieurs.
La mise en abîme s’exprime également dans le style qu’insuffle Fincher à sa mise en scène, qui s’articule autour de flash-back, comme dans Citizen Kane. D’un point de vue formel, le réalisateur reproduit numériquement avec un sens du détail quasi maladif les codes visuels et sonores des productions de l’entre-deux guerres pour donner l’illusion qu’il a lui-même tourné à cette époque.
Un geste artistique splendide livré dans un écrin noir et blanc aussi clinquant que lugubre, aussi éblouissant que mélancolique. Fincher propose des scènes dantesques et foisonnantes, leur richesse venant autant de leur mimétisme aves les pellicules des années 30 que de l’œil très contemporain de leur créateur (une soirée électorale déformée par les volutes d’alcool, un repas costumé malaisant et tant d’autres).
La limite de Mank réside sans doute dans son intimidante densité. Ses dialogues érudits, ses nombreux personnages iconoclastes, ses références innombrables, en particulier politiques (je n’en avais pas le dixième, merci Wikipedia) donnent le vertige et peuvent facilement vous faire décrocher.
En découle un léger manque d’émotions et de romanesque, une distance entre son spectateur et son héros désabusé et dilettante
Reste que Mank confirme par l’excellence la passion de Fincher pour les génies à la marge, sûrs de leur talent, intransigeants et indifférents aux jugements extérieurs. Mank est de la famille des Lisbeth Salander (Millenium), David Mills (7ven), Robert Graysmith (Zodiac) ou Zuckerberg (Social Network)
Et ne dépareille pas.
Non décidément, ce ne sera pas cette fois que David Fincher réalisera un film moyen.
Synopsis : Dans ce film qui jette un point de vue caustique sur le Hollywood des années 30, le scénariste Herman J. Mankiewicz, alcoolique invétéré au regard acerbe, tente de boucler à temps le script de Citizen Kane d’Orson Welles.