De George C. Wolfe
Avec Viola Davis, Chadwick Boseman, Colman Domingo
Chronique : Le blues de Ma Rainey est l’adaptation d’une pièce à succès de Broadway et ne fait pas grand-chose pour le cacher. Au contraire, le film capitalise sur le huis-clos (2 lieux, le studio d’enregistrement et le sous-sol où les musiciens répètent), pour offrir des discussions à bâtons rompus entre ses personnages et créer une tension immédiatement palpable que l’ambiance caniculaire et poisseuse renforcent visuellement. C’est verbeux, mais riche et précis, et met surtout en exergue de grandes performances d’acteurs. Dans son dernier rôle, Chadwick Boseman est habité, bouillant d’intensité, passant de la colère à la séduction avec parfois une pointe d’insolence. Mais c’est surtout Viola Davis qui renverse tout sur son passage. Maquillée comme un camion volé, le sourire bardé de dents en or, la démarche lourde, suintante, elle déborde d’un charisme et d’une autorité absolus.
Ces performances sont au service d’un message politique fort et dont la démonstration est à la fois intelligente et intelligible. Au début des années 20, alors que les artistes noirs américains, encore porteurs des stigmates de l’esclavage, migrent vers le nord des Etats-Unis et sont plus que jamais les victimes d’un racisme systémique, Ma Rainey tente d’exister pour ce qu’elle est et non pour ce qu’elle vaut. Malgré son statut de chanteuse à succès et poule aux œufs d’or pour ses producteurs, la chanteuse n’est pas dupe de ce qu’elle représente à leurs yeux. Ses colères, ses exigences, sa grande gueule sont en définitive les seules armes dont elle dispose pour obtenir la considération qu’elle mérite et la reconnaissance d’un travail que Levee, le personnage interprété par Boseman, n’a pas les moyens de défendre et dont il va finir par se faire spolier.
Au-delà du témoignage historique, Le Blues de Ma Rainey offre une lecture puissante sur l’appropriation du talent des artistes noirs par l’industrie musicale de l’époque pour les travestir en succès de l’Amérique WASP. Sa puissance dramatique reste très (trop ?) théâtrale, mais elle sert incontestablement son message politique.
Synopsis : Les tensions s’exacerbent et les esprits s’échauffent au cours d’une séance d’enregistrement, dans le Chicago des années 20, tandis que plusieurs musiciens attendent la légendaire Ma Rainey, artiste avant-gardiste surnommée « la mère du blues ». Arrivant en retard, l’intrépide et volcanique Ma Rainey se lance dans un bras de fer avec son manager et son producteur blancs, bien décidés à lui imposer leurs choix artistiques. Tandis que les musiciens patientent dans la salle de répétition, l’ambitieux trompettiste Levee, attiré par la copine de Ma, est déterminé à faire sa place dans le milieu de la musique. Poussant ses camarades à se confier, il provoque un déferlement d’anecdotes, de vérités et de mensonges qui bouleverseront à jamais le cours de leur vie…