L’analyse du TOP 10 de 2019 se clôturait sur la cristallisation d’un désir cinématographique, doublé d’une urgence sociale, de voir émerger une résistance politique et poétique. Le cinéma aura auguré l’ampleur nouveau des frictions sociales en cours et fantasmer la réussite, libératrice et vengeresse, des luttes à venir. L’année 2020, marquant le déclassement politique de la culture orchestré par un gouvernement aveugle, entraîne le glissement des luttes de l’écran à la rue, dans une même ardeur et autour de figures révolutionnaires issues du rang des dominé.e.s. Le monde du cinéma a connu le même basculement vers les voix dominées : lorsqu’il n’aura pas été contraint de s’exporter vers des plateformes VOD ou de streaming, le cinéma s’est maintenu derrière l’étendard de l’indépendance. Dépouillé des mastodontes, il a brillé à travers des ilots artistiques alternatifs – sortant des habituels cadres de production, de distribution et surtout de médiatisation. Il aura fallu attendre le silence forcé des blockbusters pour voir émerger, auprès du grand public, une myriade de distributeurs indépendants acharnés, de premiers long-métrages remplis de vie et d’œuvres réalisées par des femmes. 2020 n’est pas une année oubliable, mais bien une année où les dominé.e.s ont fait exister, par leurs voix et leurs imaginaires, une vitalité politique et culturelle.
Les discours cinématographiques en 2020 se sont resserrés, à l’instar de nos réalités confinées sans horizon, sur le temps présent pour en célébrer la beauté existentielle (Eva en Août de Jonás Trueba), l’absurdité politique (Énorme de Sophie Letourneur) ou encore l’implacable vérité (Days de Tsai Ming-liang). La fiction cinématographique a réinterprété son rapport au présent, comme temporalité inflexible et oppressive par essence – notamment pour les femmes, d’Eliza Hittman (Never Rarely Sometimes Always) à Melina León (Canción sin nombre). À partir de ce constat, le présent s’appréhende soit comme une mécanique impitoyable (Uncut Gems des frères Safdie) soit comme une parenthèse émancipatrice du réel (La femme qui s’est enfuie de Hong Sang-soo). Dans cette minutieuse dissection de notre époque, le présent renoue enfin avec sa force incontestable et son souffle contestataire occultés par la morosité fascisante imposée par les gouvernants. Les luttes populaires (Un pays qui se tient sage de David Dufresne), politiques (City Hall de Frederick Wiseman) et personnelles (Petite fille de Sébastien Lifschitz) ont su mettre en lumière et en actes les utopies qui les traversent. Se réconciliant avec une corporéité égarée, ces luttes ont interrogé politiquement le corps comme espace dichotomique entre désir sexuel et lieu d’oppression économique (Douze Mille de Nadège Trebal), comme espace de vulnérabilité sensorielle et mentale (Si c’était de l’amour de Patric Chiha) ou encore comme espace d’une vitale et protéiforme socialisation (Playing men de Matjaž Ivanišin).
Dans le lien implicite que l’esprit humain construit entre présent et réel, le cinéma trouve sa vocation première en transcendant les deux dans une quête émancipatrice vers le poétique. Ce ré-enchantement se caractérise par la capacité de l’art cinématographique à mettre en images (et donc de rendre tangible) les interstices du réel où spiritualité (Kongo de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav) et surnaturel (Ondine de Christian Petzold) se brouillent et apposent ensemble un mystère propice à la réflexion sur les strates du présent. Or, c’est justement par cette conscience du présent, comme temps qui s’écoule inlassablement, que l’être humain écrit et planifie sa propre existence – à l’instar de la malédiction affectant le protagoniste de Tu mourras à 20 ans d’Amjad Abu Alala. De ces récits mémoriels, les cinéastes construisent des œuvres poétiques, car libérées de toute contrainte réaliste (annihilant tout discours idéaliste ou métaphysique), qui réinvestissent le passé (La Métamorphose des oiseaux de Catarina Vasconcelos) ou la psyché (Los Conductos de Camilo Restrepo) de toute sa puissance signifiante.
Le classement qui suit prend en compte les œuvres sorties en 2020 à la fois en salles et sur les plateformes de VOD ou de streaming. De plus, il considère également les œuvres vues en festival dont la sortie en France, faute de distributeurs intéressés, reste encore incertaine.