La Candidate Idéale (2020) de Haifaa Al Mansour

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Après l'excellent et prometteur (2013), un plus académique "Mary Shelley" (2017) et un anecdotique Netflix "Une Femme de Tête" (2018), Haifaa Al Mansour, considérée comme la première femme réalisatrice saoudienne revient pour tourner dans et sur son pays d'origine l'Arabie Saoudite, pour une co-production germano-saoudienne. Comme l'indique la cinéaste son pays connaît des changements historiques même si vu d'Occident cela reste très frileux : "Nous avons connu une si longue période durant laquelle rien ne bougeait et où la moindre perspective d'ouverture ou d'assouplissement des contraintes culturelles dans lesquelles nous vivions semblait impossible - spécialement en ci qui concerne les femmes... Mais aujourd'hui, le changement évolue à une telle vitesse qu'il est difficile de suivre le rythme, et le défi consiste maintenant à encourager les gens à se jeter à l'eau pour tirer le meilleur parti des possibilités qui s'offrent à eux. Il faudra un changement profond des esprits, en particulier chez les femmes, pour qu'elles comprennent et s'approprient les libertés auxquelles elles ont désormais accès. J'ai donc souhaité raconter l'histoire d'une femme traditionnelle, culturellement conservatrice, qui décide d'épouser ces changements, de sauter sur l'occasion et de se lancer." La cinéaste co-produit et co-signe son film avec un inconnu, Brad Niemann...

Maryam, jeune femme célibataire et docteur en médecine a tout de la jeune saoudienne moderne et émancipée. Mais elle vit encore sous le toit de son père avec ses soeurs, et ne peut pas voyager sans l'accord de son père musicien. Après un voyage bloqué suite à un soucis administratif patriarchal, Maryam se présente aux élections municipales, au grand dam de ses soeurs qui ont peur des répercussions, médiatiques mais aussi des commérages. Tandis qu'elle doit aussi s'imposer comme docteur, petit à petit Maryam tenet de s'imposer, pour les femmes mais aussi comme la représentante de n'importe quel citoyen... Rappelons que le cinéma est quasi inexistant en Arabie, "Wadjda" demeure le premier film produit en Arabie Saoudite (2013 !) et il existe quasiment pas de salles de projection. Autant dire que le casting est essentiellement composé d'acteurs amateurs. Citons tout de même les soeurs jouées par Nora Al Awadh et Dae Al Hilali, puis le père interprété par Khalid Abdulraheem, tandis que l'héroïne Maryam est incarnée par Mila Al Zahrani qui a la particularité d'avoir joué dans la série TV "Asouf" (2018-...). Précisons que la cinéaste avait dû tourner son premier film "Wadjda" dans une camionnette, avec des radios pour diriger son équipe afin de ne pas se mettre en chef d'une équipe d'hommes, comme quoi les choses changent puisque Haifaa Al Mansour a pu prendre un peu plus de plaisir : "C'était un bonheur de sortir de la camionnette ! Pouvoir me mêler librement à mon équipe et être complètement immergée dans la production était extraordinaire. C'était aussi très exaltant d'avoir tous ces jeunes saoudiens enthousiastes sur le plateau. Ils représentent l'avenir de la profession, et les voir se donner à fond pour participer à la conception du film était très touchant. Encore une fois, nous avons beaucoup de chemin à faire pour développer nos équipes locales et notre savoir-faire, mais les bonnes volontés sont là. C'est une période passionnante pour les cinéastes de mon pays !"... Mais si il y a effectivement des changements effectifs dans la société saoudienne, on constate que ça reste très très frileux et le film s'en ressent à tous les niveaux. Ainsi, si on s'attend à un "Votez McKay" (1972) de Michael Ritchie ou "Les Marches du Pouvoir" (2011) de et avec George Clooney à la mode wahhabite et/ou sous d'un islam rigoriste, en fait la société est telle que la pauvre Maryam n'a ni le temps ni les moyens de se faire entendre ni même d'agir.

Sa campagne se tient en deux scènes, l'une est un meeting pour les femmes où elles semblent toutes surtout intéressées par le défilé qui leur est offert, le second meeting pour les hommes est symptomatiques des barrières misogynes et patriarchales omniprésentes. En fait, le scénario ne s'intéresse pas à la campagne de Maryam qui ne compose qu'un tiers du film, le reste se partage entre son travail difficile à l'hôpital avec les blocages attendus de par son statut de femme, puis avec une partie trop présente du père musicien qui est en tournée avec son groupe. Si on comprend le parallèle entre la fille qui se présente aux élection et le père dont la musique est à l'image du cinéma en Arabie, le scénario se perd un peu en voulant aborder trop de sujets. Résultat, la partie musicale est trop présente sans pour autant être réellement traitée, l'élection est survolée alors même qu'il s'agit à priori de la thématique centrale. On frôle le hors sujet ! Mais surtout il n'y a aucune séquence marquante ou un tantinet courageuse, la cinéaste se contente de quelques passages obligés avec des symboles pour marteler le message (les artistes sont mal aimés et/ou incompris, les femmes sont bonnes à marier et à cuisiner et à se faire belle... etc...) mais sans oser aller plus loin. Clairement, son premier film "Wadjda" est plus audacieux que ce film lisse et à la morale doucement soufflée pour terminer avec une femme qui accepte sa place. La bataille aura duré quelques jours. Haifaa Al Mansour aura marqué l'histoire du cinéma saoudien grâce à son premier long, mais force est de constater que la cinéaste n'a pas les coudées franches pour franchement bousculer les mentalités saoudiennes. Effectivement, il reste du chemin...