Réalisateur issu de la "Nouvelle Vague japonaise" à l'instar de Nagisa Oshima ou Kiju Yoshida, Shohei Imamura aura marqué le cinéma dès "Désirs Volés" (1958) et "La Femme Insecte" (1963), il aura aussi intégré le club fermé des doubles palmés puisqu'il a obtenu la Palme d'Or à Cannes pour "La Ballade de Narayama" (1983) puis pour "L'Anguille", mais ex-aequo avec "Le Goût de la Cerise" (1997) de Abbas Kiarostami. Mais avant d'obtenir cette seconde Palme, le réalisateur japonais a attendu pas moins de 7 années, le temps de se remettre de l'échec du film "Pluie Noire" (1989). Pour ce nouveau projet le cinéaste adapte une oeuvre dont la source dépend, soit d'après la nouvelle "Scintillement dans l'Ombre" ou "Scintiller dans les Ténèbres" de Akira Yoshimura, certaines autres sources indiquent plutôt le roman "Liberté Conditionnelle" (1988) de Akira Yoshimura également. Le cinéaste co-signe le scénario avec Motofumi Tomikawa et avec son fils Daisuke Tengan qui signera également plus tard "Audition" (2002) et "13 Assassins" (2012) tous deux de Takashi Miike. Le trio se retrouvera pour écrire l'ultime oeuvre de Imamura, "De l'Eau Tiède sous un Pont Rouge" (2001)... Takuro passe huit ans en prison pour le meurtre de son épouse adultère, des années diurant lesquelles il a "apprivoisé" une anguille. Mis en liberté conditionnel sous la responsabilité d'un bonze il décide d'ouvrir un salon de coiffure. Tentant de se réinsérer tout en se faisant discret jusqu'à ce qu'il sauve de la noyade une jeune femme. Cette dernière décide de se rapprocher de lui et devient son assistante mais elle a également un secret qui va bousculer le quotidien de Takuro qui se doit pourtant d'éviter les problèmes...
Le personnage principal est incarné par Koji Yakusho, grand acteur nippon de "Dans l'Ombre du Loup" (1982) de Hideo Gosha à "The Third Murder" (2017) de Hirokazu Kore-Eda en passant par "Eureka" (2000) de Shinji Aoyama et (2006) de Alejandro Gonzales Inarritu. La jeune femme est jouée par Misa Shimizu qui retrouvera le réalisateur pour "Dr Akagi" (1998) ainsi que son partenaire dans "De l'Eau Tiède sous un Pont Rouge" (2001), sera aussi dans ce dernier film l'actrice Mitsuko Baisho vue dans le palmé "La Ballade de Narayama" et également dans les grands (1980) et "Rêves" (1990) tous deux de Akira Kurosawa. Plusieurs autres comédiens retrouvent Imamura comme Fujito Tokita vu dans "La Ballade de Narayama", "Pluie Noire" et aussi dans "Samouraï" (1965) de Kihachi Okamoto et "Barberousse" (1965) de Akira Kurosawa, Shoichi Ozawa fidèle du réalisateur depuis "Cochons et Cuirassés" (1961), Etsuko Ichihara primée pour son rôle dans "Pluie Noire" et vue récemment dans "Les Délices de Tokyo" (2015) de Naomi Kawase. Citons encore Akira Emoto qui retrouvera une partie de l'équiope dans "Dr Akagi", retrouvera également Koji Yakusho dans "Doppelgänger" (2003) de Kiyoshi Kurosawa et vu dernièrement dans "Une Affaire de Famille" (2018) de Hirokazu Kore-Eda, Sho Aikawa acteur fétiche de Takashi Miike comme dans "Dead or Alive" (1999) et "Gozu" (2003), puis enfin Makoto Sato qui tourna plus de 140 films entre 1957 et 2008 dont "La Forteresse Cachée" (1958) de Akira Kurosawa, "Les Evadés de l'Espace" (1978) de Kinji Fukasaku et "Typhoon Club" (1985) de Shinji Somai... Le prologue s'ouvre sur un homme qui découvre qu'il est cocu et qui assassine sa femme froidement de façon plutôt déterminée et consciente avant de se rendre. Un prologue qui n'est pas anodin quant à la suite des événements. Après une ellipse de plus de huit ans, on retrouve un homme serein qui n'ambitionne plus qu'à une vie simple et discrète avec son salon de coiffure. On remarque d'abord ce contraste entre le calme et la sérénité de cet homme qui ne semble avoir aucun remord ni agressivité quand il et on repense au crime violent qu'il a pu commettre. Vu l'apparente gentillesse de l'homme on ne s'étonne donc pas qu'il s'intègre sans réel soucis, qu'il charme même la jeune femme.
On reconnaît le style du cinéaste, son attrait pour les marginaux, qui n'hésite pas à montrer le côté sombre de l'homme et l'importance souvent non négligeable de la cause animale. Mais pourtant on attend longtemps que l'anguille en question prenne toute sa place et toute son importance. À l'exception de 2-3 séquences on constate que l'anguille est finalement très secondaire, voir même complètement accessoire. Le scénario met en place deux sous-intrigues, celle avec l'ex-taulard qui reconnaît notre héros, et l'ex (tout court) de la jeune fille. Si ces deux paramètres bousculent le quotidien désormais bien ordonné de Takuro on est pourtant un peu perplexe, d'abord parce que les raisons du harcèlement sont particulièrement bénignes voir ridicules, puis la dimension financière restent trop floues pour franchement convaincre d'un quelconque intérêt. Le pire arrive dans la dernière partie, alors que Imamura signe un film doux et minimaliste, où un homme cherche à se faire discret, à accepter une nouvelle vie, qu'une jeune femme semble être sa porte vers un nouveau bonheur dans un rythme presque champêtre, avec ses petits moments mélancoliques voir oniriques, avec une économie de dialogues et même d'effets, soudain le récit s'emballe pour une sorte d'apothéose où la violence et l'explosion de colère déborde. Mais pour l'un les raisons semblent surtout éthyliques et ineptes, et pour l'autre la violence façon mafieux de bas étage ne sent pas franchement la crédibilité, on serait même dans l'amateurisme. On aime tout ce qui entoure Takuro, son meurtre, sa façon d'accepter et d'assumer son geste, sa rédemption qui n'en est pas vraiment une, son lien qui évolue avec la jeune femme, ses nouvelles amitiés... etc... Mais les deux sous-intrigues (l'ex-taulard harceleur et l'ex-petit ami mafieux en herbe) sont inintéressantes, des parties mal écrites sur le fond comme sur la forme. Et, on se demande encore à quoi sert l'anguille...
Note :