Un grand merci à Carlotta Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Dernier caprice » de Yasujiro Ozu.
« Le destin est curieux : il nous a rapproché. C’est étrange après dix-sept ans. »
Manbei Kohayagawa est le patron d’une petite brasserie de saké au bord de la faillite. Le vieil homme est entouré de ses trois filles : l’aînée, Akiko, veuve et mère d’un petit garçon, qu’il souhaite remarier ; la cadette, Fumiko, dont l’époux, gérant de la brasserie, se dévoue corps et âme pour la survie de l’entreprise ; et la benjamine, Noriko, qui refuse tous les prétendants choisis par sa famille. Ces derniers temps, Manbei trouve du réconfort auprès de Tsune Sasaki, son ancienne maîtresse chez qui il se rend en douce. Bientôt, la santé du patriarche commence à décliner…
« Je ne supporterai pas un homme avec un mauvais caractère. On peut changer de conduite, mais pas de caractère. »
S’il n’a pas reçu de son vivant la même reconnaissance internationale que certains de ses confrères, Yasujiro Ozu n’en reste pas moins l’un des plus grands maitres de l’âge d’or du cinéma japonais avec Akira Kurosawa et Kenji Mizoguchi. Mais à l’opposé de l’exubérance d’un Kurosawa, Ozu demeure résolument le cinéaste de l’épure et de l’intime. Surtout, à la différence de la plupart de ses confrères qui puiseront à cette époque une part importante de leurs sujets dans des fresques médiévales, Ozu est définitivement un cinéaste du présent, qui puise son inspiration dans l’observation de la société japonaise contemporaine. A la fin des années 50, le cinéma d’Ozu connait néanmoins une petite révolution de par son passage du noir et blanc à la couleur pour ses six derniers films. Tourné en 1961, soit deux ans avant son décès prématuré, « Dernier caprice » est ainsi son avant-dernier film. C’est aussi le dernier film de sa muse, la grande actrice Setsuko Hara, qui mettra un terme à sa carrière après le décès du maitre.
« Comme tout est éphémère... »
« Dernier caprice » est ainsi une chronique familiale centrée sur les Kohayagawa, une famille ordinaire de province, articulée autour de Manbei, son patriarche. Une famille unie mais néanmoins tiraillée par des forces contraires, puisque l’incorrigible Manbei, pourtant à l’hiver de sa vie, continue de vivre une vie dissolue après avoir retrouvé secrètement l’une de ses anciennes maitresses, alors même qu’il veut imposer des mariages de raison à deux de ses filles. Comme à son habitude, Yasujiro Ozu se sert de la famille pour évoquer plus largement la société japonaise et capter par petites touches impressionnistes l’évolution de ses mœurs. A ce titre, « Dernier caprice » s’articule un peu comme une opposition des anciens et des modernes, avec des ainés encore très attachés à des traditions séculaires sur le déclin (symbolisées par la fabrique traditionnelle de saké appelée à disparaitre face aux productions industrielles), et une jeunesse en proie à une volonté de liberté et d’émancipation par rapport aux conventions sociales. En creux, le cinéaste filme surtout la remise en question d’un modèle patriarcal ancien et l’émergence d’une forme de dynamique féministe, par le biais du personnage de ces deux filles qui refusent de se soumettre aux volontés des hommes de la famille. Ainsi, Akiko la jeune veuve préfèrera rester célibataire que de se remarier tandis que sa jeune sœur Noriko optera pour un mariage d’amour moins avantageux que les mariages de convenance qui peuvent lui être proposés. Mais comme toujours chez Ozu, ces évolutions profondes se font de façon subtile et dans une certaine forme de douceur, à l’image de l’ambiance du film qui demeure lumineuse et, au final, apaisée. Un grand et beau film.
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Le blu-ray : Le film est présenté dans une nouvelle restauration 4k, en version originale japonaise (1.0). Des sous-titres français sont également disponibles.
Côté bonus, le film est accompagné d’une préface de Pascal-Alex Vincent, cinéaste et enseignant ainsi que de Bandes-annonces.
Edité par Carlotta Films, « Dernier caprice » est disponible en blu-ray ainsi qu’en DVD depuis le 18 novembre 2020. Il est également disponible depuis cette même date dans le très beau coffret « Ozu - 6 films en couleurs » du même éditeur.
Le site Internet de Carlotta Films est ici. Sa page Facebook est ici.