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Parce que les (géniales) sections #TouchePasAMes80s et #TouchePasNonPlusAMes90s, sont un peu trop restreintes pour laisser exploser notre amour du cinéma de genre, la Fucking Team se lance dans une nouvelle aventure : #SectionsFantastiques, ou l'on pourra autant traiter des chefs-d'œuvres de la Hammer que des pépites du cinéma bis transalpin, en passant par les slashers des 70's/80's ; mais surtout montrer un brin la richesse des cinémas fantastique et horrifique aussi abondant qu'ils sont passionnant à décortiquer. Bref, veillez à ce que les lumières soient éteintes, qu'un monstre soit bien caché sous vos fauteuils/lits et laissez-vous embarquer par la lecture nos billets !
#56. Horns d'Alexandre Aja (2014)
Gageons que le cinéma d'Alexandre Aja a toujours divisé, même si certaines de ses péloches (La Colline à des Yeux et dans une moindre mesure le récent Crawl), ont su convaincre un avis général qui oublie un poil trop vite que les formalistes singuliers made in France, ne court pas forcément les rues, et encore moins dans un cinéma de genre ou s'exporter a longtemps été l'une des seules solutions pour survivre.
Pourtant, le bonhomme s'est souvent échiné à jouer la carte des projets risqués, que ce soit les remakes attendus (le Craven, le remake d'Into The Mirror de Kim Seong-ho), les revivals couillus (Piranha 3D, vrai/faux remake du film de Joe Dante auquel il rend un hommage certain) ou même les adaptations alléchantes, comme The 9th Life of Louis Drax de Liz Jensen et... Cornes/Horns de Joe Hill (aka le rejeton de l'inestimable Stephen King), attendu comme le messie avant d'être gentiment (stupidement ?) boudé dans les salles à sa sortie; là ou il incarne pourtant une (très) sympathique bande fantastico-horrifico-romantique qui s'assume tout du long, même dans ses nombreux travers.
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Aussi foutrement bordélique et généreuse que jusqu'au-boutiste et prévisible à la fois, ce modeste spectacle détonnant et impertinent, suit l'histoire d'Ignatius Perrish - dit Ig -, qui vit une histoire d’amour passionnelle depuis qu’il est enfant avec la jeune Merrin, jusqu'à ce que celle-ci est retrouvée morte après avoir été violée.
Accusé à tort de son meurtre, il essayera en vain de clamer son innocence face à une ville qui le considère comme un paria.
Bien décidé à trouver qui lui a prit son amour et sa vie, il va mener une enquête solitaire pour trouver le meurtrier, bien aidé par... des cornes qui viennent de lui pousser sur le front.
Désormais capable de forcer tous ceux qu'il rencontre à lui avouer ses plus intimes et terribles secrets, il va maitriser ce nouveau pouvoir paranormal et tout faire pour assouvir sa soif de vengeance...
De l'étrange et complexe roman de Joe Hill (pour laquelle il a bataillé pour imposer ses parti-pris lors d'une production méchamment hell), Alexandre Aja offre une œuvre volontairement rock et décomplexé, mélange chargé mais assumé entre la fable fantastique, la comédie satirique et critique (l'Amérique prolo en prend plein la gueule), la romance bouleversante et la quête vengeresse prenant les contours brouillon mais envoûtant d'un thriller sanguinaire, ambiguë et singulier - jusque dans son climax.
Mieux, via une facture des plus classiques mais plutôt habile (l'intrigue se construit entre une narration simple au présent et des flashbacks informatifs), il creuse encore un petit peu plus le sillon de l’impertinence, de la déconne et de l'exagération déjà présent dans son Pirahna, pour accoucher d'une identité mêlant habilement ironie et cruauté, violence gore et grossière.
Ou une mixture des plus outrancière et déjanté voir même carrément surréaliste, puisqu'il n'hésite jamais à brusquer le spectateur avec ces ruptures abruptes de ton.
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Mais plus que toute chose, Horns c'est avant tout l'histoire tragique - et donc empathique - d'un amour vibrant au traitement intelligemment réaliste, un conte féérique contrarié par la vie (ou plutôt, la mort), qui obligera un jeune homme - dont on ne doute pas une seule seconde de ses sentiments ni même de son innocence -, à laisser parler sa rage pour mieux se venger et mettre en lumière tous les côtés sombres et immorales de l’humanité, ainsi que l'hypocrisie ambiante qui caractérise la société contemporaine.
Jouissif, subversif et parfois même férocement tendu, porté par une musique démente - que ce soit le score enivrant de Robin Coudert ou la B.O comprenant Bowie et les Pixies -, et un symbolisme religieux rappelant sans cesse Stephen King (Hill s'est de qui tenir, puisqu'il s'amuse de l'image de la religion comme son pater), Horns tire d'autant plus sa réussite de la prestation remarquable d'un Daniel Radcliffe que l'on ne pensait pas forcément fait pour ce rôle.
Impliqué comme jamais et d'un second degré salvateur, le bonhomme trouve ici ni plus ni moins que son meilleur rôle (avec celui du Dr Vladmir « Nika » Bomgard dans la mini-serie A Young Doctor's Notebook), qui le détachait - si besoin était encore - pour de bon de son image d'idole pour ados et de stars de blockbusters.
Puissant et quasi-parfait dans son interprétation cash, sans filet et à la maturité étonnante, il transcende le personnage de Ig pour en faire martyr mélancolique qui se transforme peu à peu en ange du mal, à l'aise aussi bien dans la tragédie que dans l'humour noir.
A ses côtés, si l'on déplore la composition transparente d'un Max Minghella peu inspiré, en revanche, la sublime Juno Temple - pour une fois dans la peau d'un personnage sobre - lui offre un répondant des plus séduisants, merveilleuse de pureté et de mystère en Merrin, objet de toutes les convoitises dont on tombe aisément amoureux dès le premier regard.
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Des qualités évidentes qui lui permettent de masquer quelques défauts trop facilement décelable, que ce soit son intrigue un poil trop prévisible et étirée (on aurait pu lui tailler une bonne demie heure de gras), son ton moralisateur, le penchant sur-explicatif - merci la voix-off - de son dernier acte qui part littéralement dans tous les sens, ou encore les petites faiblesses de la mise en scène pourtant audacieuse d'Aja.
Un chouïa trop nostalgique et référentiel (David Lynch et Stephen King of course, le cinéma des 80s et, instinctivement, celui du pape Spielberg), manquant un poil de piment (surtout dans la mécanique de l'enquête de Ig, trop vite superficielle) mais clairement de sérieux, même si quelques fulgurances gores et burlesques (ses cadrages sont toujours bien pensé, et quelle bonne idée de vouloir constamment changé d'ambiance), le film nous rappelle constamment que l'on est - doublement - devant une œuvre personnel (celle de Hill et le fait qu'Aja aime cette histoire et cela se sent), aussi bien dans ses défauts que dans ses plus grandes qualités.
Honnête, généreux et hybride, avec Horns, Aja se jouait des codes et signait tout simplement l'un de ses meilleurs essais autant qu'une œuvre potentiellement culte d'ici les prochaines années à venir... ou pas.
Jonathan Chevrier