Réalisatrice : Jasmila Zbanic
Acteurs : Jasna Djuricic, Izudin Bajrovic, Boris Ler,...
Distributeur : Condor Distribution
Budget : -
Genre : Drame, Guerre, Historique.
Nationalité : Bosniaque, Autrichien, Roumain, Néerlandais, Allemand, Polonais, Français, Norvégien, Turc.
Durée : 1h44min.
Synopsis :
Srebrenica, juillet 1995. Modeste professeure d'anglais, Aida vient d'être réquisitionnée comme interprète auprès des Casques Bleus, stationnés aux abords de la ville. Leur camp est débordé : les habitants viennent y chercher refuge par milliers, terrorisés par l'arrivée imminente de l'armée serbe. Chargée de traduire les consignes et rassurer la foule, Aida est bientôt gagnée par la certitude que le pire est inévitable. Elle décide alors de tout tenter pour sauver son mari et ses deux fils, coincés derrière les grilles du camp.
Critique :
Éreintant (dans le bon sens du terme), palpitant et émotionnellement dévastateur,#LaVoixdAïda est un puissant drame tourné comme un thriller haletant et immersif, une plongée au coeur de la guerre sondant le meilleur comme le pire de l'âme humaine. Jasna Djuricic y est incroyable pic.twitter.com/xqCK3DssxW
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 5, 2021
Il y a un lien intime et dévastateur qui unit Zana et La Voix d'Aïda, deux millésimes sélectionnés au coeur d'une édition 2021 du FIFF décidemment exceptionnelle : la guerre et le génocide en ex-Yougoslavie à la fin des années 90.
Si le film d'Antoneta Kasrati se servait en partie, de ce traumatisme pour appuyer le mal-être d'une femme qui peine à redevenir mère, La Voix d'Aïda de Jasmila Zbanic lui, place sa caméra littéralement au coeur du conflit dans la ville bosniaque de Srebrenica juste après que l'armée serbe s'en soit emparée, mais surtout juste avant qu'il ne procède à un génocide savamment prémédité contre les habitants sous les ordres du général Mladic.
On y suit le modeste mais vibrant portrait d'une mère courageuse et enseignante devenue une interprète indispensable, Aïda (Jasna Djuricic, absolument formidable), qui parcourt de long en large une base bondée des Nations Unies, pour relayer des messages au milieu d'une crise humanitaire qui est sur le point, nous le savons en tant que spectateurs, de se transformer en une catastrophe indescriptible.
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Avec une héroïne qui croise à la fois son propre sort - mais aussi celui des siens - à celui de toute sa communauté au beau milieu de la guerre, la cinéaste, dont la carrière s'est majoritairement concentrée sur les événements et conséquences du conflit armé dans son pays d'origine, croque un drame anxiogène et urgent plongée au plus profond du chaos.
Dans une préoccupation perpétuelle, alors qu'elle tente de convaincre ses supérieurs et des responsables de l'ONU de permettre à ses proches d'entrer dans la base pour se protéger - alors que des milliers de personnes sont déjà à l'intérieur et que des milliers d'autres attendent à l'extérieur -, Aïda est une âme débordée et inquiète constamment perdue dans une sorte d'océan humain de personnes souffrantes et apeurés (entre le déracinement forcé et le fait qu'aucun lieu sûr ne les attends), dont elle est parfois le seul phare de lumière au milieu de l'ineptie irritante des responsables; Srebrenica représentant depuis, un chapitre honteux pour l'ONU, qui a permis à l'horreur de se dérouler sans encombre (les pays sont voisins, et la violence est justement née d'une division des citoyens pour une question - notamment - de religion).
Sur une simple journée, Zbanic compose une symphonie humaine d'une complexité rare (un script fonctionnant à la fois du point de vue de la précision historique, que dans la cohérence du calvaire vécue par son héroïne), qui incorpore l'inefficacité bureaucratique des organisations humanitaires internationales - dont le travail primordial est de protéger les impuissants -, les liens brisés entre les membres d'une même communauté et le portrait brillant et déchirant - et évitant tout sentimentalisme putassier - d'une mère désespérée mais déterminée.
À chaque rebondissement, les tentatives de plus en plus désespérées d'Aida de trouver une solution à leurs perspectives désastreuses - ou de tirer parti du service qu'elle a fourni pour une faveur vitale -, est captée frénétiquement et avec une énergie aiguisée, par une caméra aussi compatissante que désabusée par la situation quelle retranscrit.
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Éreintant - dans le bon sens du terme - et palpitant, émotionnellement dévastateur (si Aïda à pu sauver les siens, combien de familles n'ont pas eu cette chance et ont été décimées par le conflit ?), La Voix d'Aïda est un puissant drame tourné comme un thriller haletant et immersif sondant le meilleur comme le pire de l'âme humaine.
Si on pourra peut-être lui reprocher - et encore - le côté profondément manichéen du parti opposé (dont le basculement vers la violence et la haine est plus complexe qu'on le pense), même s'il elle clôt sa tragédie sur une note d'espoir - et peut-être de pardon -; impossible de ne pas se laisser porter par son plaidoyer vibrant et déchirant, avec son héroïne fantastique criant son impuissance face à un monde qui ne veut pas l'entendre (un cri tout en retenue, sans la moindre explosion mélodramatique ou rage exagérée, ce qui en accentue grandement sa force évocatrice), symbole puissant de ce que le peuple bosniaque dans son ensemble a vécu, laissé pour mort par l'inaction étrangère - et surtout européenne.
On appelle ça une claque et un vrai acte cinématographique, rien de moins.
Jonathan Chevrier