Réalisateur : Shaka King
Acteurs : LaKeith Stanfield, Daniel Kaluuya, Jesse Plemons, Martin Sheen,...
Distributeur : Warner Bros. France (My Canal)
Budget : -
Genre : Drame, Biopic.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h06min.
Synopsis :
Focus sur l'ascension de Fred Hampton, militant politique afro-américain, membre du Black Panther Party dans l'Illinois, décédé en décembre 1969 à l'âge de vingt-et-un ans.
Critique :
Véritable tragédie Shakespearienne à la direction d'acteurs incroyable,#JudasAndTheBlackMessiah est un drame coup de poing bouillant et captivant, une revisite pertinente et précieuse d'un passé américain qui n'est finalement même pas passé, et toujours cruellement d'actualité... pic.twitter.com/urjHaMPAYr
— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) April 24, 2021
Force est d'avouer que pour son second long-métrage, Judas and The Black Messiah , Shaka King n'équivoque jamais son point de vue en dépeignant la lutte, à la fin des années 1960, entre le parti radical Black Panther et le FBI, tant il prend la position - hautement défendable - que des deux parti, le FBI était définitivement le plus criminel.
Le «messie» de son titre (une appellation uniquement utilisée par son principal antagoniste, J.Edgar Hoover) est Fred Hampton, un orateur et éminent leader des Black Panther qui, en 1969, est victime d'un meurtre à l'âge de 21 ans, des mains mêmes de la police de Chicago (sans même publiquement l'annoncé, il savait qu'il serait mort jeune, et qui aurait perpétué cet assassinat).
Autant orateur féroce qu'il est un ardent défenseur de la libération des Noirs, un ennemi du capitalisme blanc ou même purement et simplement une menace pour l'Amérique soutenue par des personnes comme Hoover (une figure in fine christique, que ce soit dans sa manière de fédérer/rassembler le peuple que dans le sacrifice de sa vie), on ne le voit ici est presque toujours que comme une personnalité publique, les fugaces scènes de son intimité - notamment avec son love interest - n'étant là que pour tempérer sa flamme intérieure.
Copyright Warner Bros. France
Son " Judas " en revanche, et comme c'est assez souvent le cas dans ce genre de chronique, est peut-être encore plus passionnant à suivre ne serait-ce que pour son ambiguïté morale ou plutôt, son amoralité pure et simple.
Soit William " Bill " O'Neal, un informateur du FBI qui s'infiltre non seulement dans le chapitre à Chicago des Panther, mais aussi et surtout dans le petit cercle intime et confident de Hampton.
C'est lui le protagoniste majeur de l'histoire, malgré l'importance de Hampton dans l'histoire des outrages aux droits civiques américains, et celui par qui tout commence.
Lorsqu'il est arrêté pour avoir usurpé l'identité d'un agent du FBI afin de voler un véhicule tape-à-l'œil dans un restaurant, il attire l'attention de l'agent Roy Mitchell sur son cas, lui offrant le choix entre plusieurs années de prison ou devenir un informateur pour l'agence.
Sur instruction spécifique de J Edgar Hoover, le bureau a jeté son dévolu sur Fred Hampton, membre important dans le développement croissant de l'influence des Panthers à travers tous les États-Unis.
En l'absence de croyances politiques avouées au-delà de l'auto-préservation - et d'un amour assumé pour l'argent et le clinquant -, O'Neal semble l'outil parfait pour se frayer un chemin dans le parti et rendre compte de son fonctionnement interne.
Alors qu'il grimpe dans les rangs, devenant le chef de la sécurité de la section locale de l'Illinois et garde du corps d'Hampton, Hoover veut l'utiliser «de manière plus créative».
Pourtant, les propres affiliations d'O'Neal deviennent de plus en plus floues, ses craintes d'être découvert comme un informateur étant étroitement liées à une sympathie/adhésions croissante pour les proclamations révolutionnaires d'Hampton.
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Un flou fixée sur une admiration à deux visages et difficilement conciliable, que ce soit celle qu'il ressentait pour Hampton, qu'il aimait et admirait (même lorsque les enseignements maoïstes des Panthers le laissaient de marbre) tout en se sentant mal d'avoir un rôle majeur dans sa tragique chute, qu'envers Mitchell qu'il considérait comme un modèle, un amoureux du FBI loin de la police violente et corrompue de Chicago; deux âmes plus que complémentaires autant psychologiquement (les deux sont amorales et corrompus, respectivement, par le carriérisme lâche et la peur de la prison) que dans les actes (chacun à sa part dans la mort d'Hampton, O'Neal est un pion de Mitchell qui lui, était un pion de la politique raciste d'Hoover), et qui ne cherche aucune absolution tant ils s'efforcent, malgré leurs consciences bien réelles, à mener à bien leur mission.
Tout en puissance, LaKeith Stanfield parvient tout du long à maintenir au premier plan et vivantes ces contradictions complexes, au coeur d'un mélange constant d'anxiété, de peur d'être démasqué et d'une énergie folle, entre colère et confusion.
Tout le contraire d'un Daniel Kaluuya impérial en leader inébranlable, une âme déterminée et inspirante à laquelle il injecte suffisament de charisme - ses discours incendiaires sont déments - et d'empathie pour emporter l'adhésion; encore plus dans des scènes plus intimes, notamment dans sa relation tendre avec Deborah Johnson, interprétée avec chaleur par Dominique Fishback, qui nous rappelle presque le merveilleux Si Beale Street pouvait parler de Barry Jenkins.
Impossible de ne pas citer également, aussi bien la partition fugace de Martin Sheen dans la peau d'un Hoover blafard et vampiresque en Hoover, que celle géniale de Jesse Plemons, frappé par le même air de complaisance/fausse bonne volonté qu'il apportait à son rôle de néo-nazillon dans Breaking Bad.
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Véritable tragédie Shakespearienne à la direction d'acteurs incroyable, politique aussi bien dans son fond (réel et historique) que dans sa forme (un thriller articulée autour d'une trahison implacable, sorte de parabole qui en dit long sur la façon dont la société force les gens à jouer des rôles et ne plus être eux-mêmes), sublimée par un score dantesque de Mark Isham (tout en tension avec des percussions angulaires et des riffs de contrebasse qui épousent l'action, avant d'être tempérés par des accords mélancoliques) qui s'harmonise parfaitement avec la photographie bouillante de Sean Bobbitt (dans un Chicago à la reconstitution appliquée); Judas and The Black Messiah est un drame coup de poing captivant ou toute rédemption est impossible (pour ses personnages, le racisme assumé de l'Amérique, la violence commise par les Panthers et le FBI,...).
Une mise en images pertinente et précieuse d'un passé américain qui, comme William Faulkner l'aurait sans doute finement observé, n'est finalement même pas passé et toujours cruellement d'actualité...
Jonathan Chevrier