La condition de l'homme

Un grand merci à Carlotta Films pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray de la trilogie « La condition de l’homme » de Masaki Kobayashi.

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« Si tu peux, laisse la guerre aux autres. Ne laisse pas échapper ton bonheur »

1943. Kaji, un administrateur civil employé dans une compagnie de minerai, part avec sa femme pour des mines de charbon en Mandchourie du Sud. Au cœur de paysages désolés, Kaji lutte dans le seul but d’améliorer les conditions de travail des ouvriers. Lorsque des prisonniers chinois affamés lui sont confiés par la police militaire, Kaji commence à s’opposer, malgré les impératifs de la guerre, aux méthodes extrêmes de sa hiérarchie. Pour lui commence alors une aventure humaine dramatique et cruelle…

« L’homme n’est ni un prophète ni un saint. C’est un être avide et dépravé »

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Contrairement à l’Allemagne qui a su porter, au fil des années, un regard très critique sur les heures sombres de sa période nazie et sur les atrocités commises au nom de son adhésion à cette idéologie, le Japon, son principal allié, à toujours semblé plus ambigu quant à sa participation à la Seconde guerre mondiale et aux exactions commises durant l’ère Showa. La faute, sans doute, à un nationalisme toujours très ancré dans les esprits, comme en attestent les fréquentes controverses liées aux visites des dignitaires nippons au Sanctuaire Yasukumi et qui se traduit encore par des œuvres aux sujets parfois ambigus (on pense notamment au « Vent se lève » de Miyazaki et de l’éloge qui y est fait de l’ingénieur Jiro Horikoshi, inventeur du chasseur « Zéro », fleuron de l’aviation militaire impériale). Pour autant, à défaut de faire véritablement acte de repentance, quelques cinéastes auront su porter un regard assez lucide sur la guerre par le biais de films résolument pacifistes. On pense notamment à Kon Ichikawa (« La harpe de Birmanie », « Feux dans la plaine »), Keisuke Kinoshita (« Le matin de la famille Osone ») voire à Toshiro Mifune (« L’héritage des 500 000 »). Mais de tous, ce fut sans doute Masaki Kobayashi qui se montra sans doute le plus incisif et le plus radical dans sa vision de la guerre.

« C’est l’heure de faire votre choix : vous serez soit un assassin déguisé en humaniste, soit un homme digne de ce nom »

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Pour preuve, il signe en 1959 avec « La condition de l’homme » une trilogie fleuve de près de dix heures centrée sur la Seconde guerre mondiale. Inspirée d’un roman de Junpei Gomikawa, celle-ci s’articule en trois films : « Il n’y a pas de plus grand amour », « Le chemin de l’éternité » et « La prière du soldat ». Trois films au cours desquels le spectateur suivra le terrible périple de Kaji, jeune japonais idéaliste, embarqué malgré lui dans les aléas de l’Histoire et de la folie destructrice de son pays. Une odyssée dramatique qui s’apparentera à une lente descente aux enfers à mesure que ses actions le rapprocheront de la ligne de front et de la mort. Mais « La condition de l’homme » est ainsi un récit philosophique qui interroge en permanence la morale de l’homme et sa capacité de résilience face aux épreuves de la guerre. Drapé dans ses idéaux humanistes et pacifistes, Kaji devra apprendre à composer avec une réalité souvent très complexe (en dépit de ses bonnes intentions, il suscite la haine des autochtones qui le considèrent comme le membre d’une armée d’occupation ennemie mais aussi de sa hiérarchie et de ses camarades qui fustigent son attitude et ses méthodes trop « bienveillantes » vis-à-vis des autochtones). Au bout d’un chemin chaotique, au cours duquel Kaji et ses camarades verront leur statut irrémédiablement s’inverser (passant de conquérants tout-puissants à bêtes traquées d’une armée en déroute), « La condition de l’homme » est surtout la parfaite démonstration de l’absurdité de la guerre dont l’ignominie engendre assurément la perte progressive de toute humanité et, avec elles, de toutes illusions. Kobayashi signe ici un film âpre, puissant et, surtout, d’une rare lucidité quant à la réalité de ce que fut l’occupation japonaise de la Chine et des exactions qui y ont été commises (travail forcé, exécutions sommaires, cruautés de toutes sortes, humiliations...). Forcément indispensable.

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Le blu-ray : Les trois films sont présentés dans de nouveaux Masters restaurés en Haute-Définition et proposés en version originale japonaise (2.0). Des sous-titres français sont également disponibles.

Côté bonus, la trilogie est accompagné de trois bandes-annonces d’époque ainsi que d’un livret rédigé par Claire Brisset, enseignante à l’Université Paris VII et spécialiste de Kobayashi (32 pages).

Édité par Carlotta Films, « La condition de l’homme » est disponible en coffret blu-ray ainsi qu’en coffret DVD depuis le 6 décembre 2021.

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