Photograph: ITV/Rex Shutterstock
Parce que l'overdose des téléfilms de Noël avant même que décembre ne commence, couplé à une envie soudaine de plonger tête la première dans tout ce qui est feel good et régressif, nous a motivé plus que de raison à papoter de cinéma sirupeux et tout plein de guimauve; la Fucking Team vient de créer une nouvelle section : #CoeursdArtichauts, une section ou on parlera évidemment de films/téléfilms romantiques, et de l'amour avec un grand A, dans ce qu'il a de plus beau, facile, kitsch et même parfois un peu tragique.
Parce qu'on a tous besoin d'amour pendant les fêtes (non surtout de chocolat, de bouffe et d'alcool), et même toute l'année, préparez votre mug de chocolat chaud, votre petite (bon grande) assiette de cookies et venez rechauffer vos petits coeurs de cinéphiles fragiles avec nous !
#30. Brève Rencontre de David Lean (1945)
En ces temps cruellement triste ou le besoin de trouver sa moitié est autant une nécessité qu'une norme sociétale de plus en plus anxiogène, difficile de ne pas se laisser aller à de déprimants shots de comédies romantiques pas toujours défendables, comme la télévision en dégaine bien trop chaque après-midi.
Mais ceux qui sont prêts à se livrer à l'humeur croissante d'une oeuvre plus exigeante mais pas moins douloureuse, sur le désespoir évanoui d'une union incompatible avec les limites de la monogamie stable et de la romance spontanée, peuvent sans réserve de plonger corps et âme à la vision du chef-d'œuvre en noir et blanc Brève Rencontre de David Lean; l'une des histoires d'amour les plus vives, passionnées et douloureusement crédibles jamais gravées sur la pellicule, et incarnée à la perfection par le couple Celia Johnson et Trevor Howard.
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Elle c'est Laura, la (trop) bonne petite femme au foyer d'une abeille ouvrière de la classe moyenne inattentive à ses besoins, traversant péniblement une existence répétitive et abrutissante quelque part dans une banlieue britannique douloureusement comme les autres.
Lui c'est Alec, un médecin dont l'union est elle aussi sans amour, et l'a même poussé à trouver du réconfort uniquement dans le travail.
Leur rencontre fortuite dans un café de gare se transforme d'abord en une amitié informelle, puis progressivement, avec culpabilité mais pas sans passion, en quelque chose qu'aucun d'eux ne peut pleinement comprendre ou admettre, mais dont ils ont pourtant cruellement besoin.
Trempé dans la brume enivrante du Lancashire et éclipsé à la fois par la clameur terrifiante de la guerre et le spectre d'un changement social - et mondial - imminent, Brief Encounter en V.O. n'est pas tant qu'une fable romantico-désespérée sur deux amants maudits, mais aussi et surtout une oeuvre au regard critique et ferme sur la bourgeoisie britannique et les convenances de la société patriarcale (doit-on se laisser s'enfermer dans un mariage sans amour ? Doit-on ne pas accepter le bonheur là où il se trouve, même dans un certain " interdit " ?).
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Pilier du cinéma romantique (Wong Kar Wai avec In the Mood for Love et Todd Haynes avec Carol, lui ont rendu de magnifiques hommages), à la pureté narrative faite pour durer dans le temps (le cadre a vieilli mais jamais ce que le film conte), récit angoissé et excitant sur les rencontres fortuites et aux sentiments fougueux qu'elles suscitent (même si elles créent des gouffres invisibles dans les vies de familles des deux protagonistes principaux), qui se pare d'une moralité d'autant plus moderne (que faire de nos pulsions amorales - l'adultère - surtout quand elles prennent forme dans la compréhension mutuelle que tromper son conjoint serait une erreur terrible); Brève Rencontre n'est pas seulement une représentation évanouie - à juste titre - d'un amour qui ne peut pas être, mais autant une mise en images implacable de la décence/convenance qui ne peut être défaite, même face à l'énergie confuse - voire contradictoire - mais obsédante d'un nouvel amour et, plus directement, d'une potentielle nouvelle vie.
Un frisson romantique que l'on a tous déjà ressenti, évidemment à différentes échelles, évoqué avec puissance dans une oeuvre voluptueuse dont on n'a définitivement pas fini de mirer la splendeur, même près de huit décennies plus tard...
Jonathan Chevrier