(Critique - sans spoilers - des trois premières saisons et de la première moitié de la quatrième saison)
Vous avez peut-être, ces derniers temps, entendu parler de « SNK », abréviation de Shingeki no Kyojin, traduit en français par L’Attaque des titans. La première saison de la série animée japonaise date de 2013, elle est disponible, tout comme la deuxième et la troisième saison, sur Netflix. La première partie de la saison 4 est, quant à elle, disponible sur la plateforme spécialisée Wakanim. Il faut, aujourd’hui, encore attendre sa seconde et ultime partie.
L'histoire de L'Attaque des titans se déroule dans un monde envahi par une horde de titans mangeurs d’Hommes. L’humanité vit recluse dans des murs jusqu’au jour où les créatures les brisent et envahissent la ville dans laquelle le jeune Eren Jäger vit avec sa famille et ses amis Armin et Mikasa. Eren se jure alors d’exterminer tous les titans jusqu’au dernier et rejoint le bataillon chargé de cette mission. Le manga d’origine, œuvre de Hajime Isayama, commencé en 2009, s’est terminé en avril dernier. D’abord classé comme shonen (manga ayant pour cibles les jeunes adolescents), il est souvent devenu, en raison de son développement de plus en plus sombre, considéré comme seinen (manga ayant pour cible les jeunes hommes).
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Lorsque l’aventure s’ouvre sur ces trois enfants qui deviennent des soldats en quête de liberté et destinés à en découdre avec les créatures du mal, elle n’a rien de révolutionnaire. L’univers est accrocheur, tout comme l’opening dans lequel les personnages virevoltent au sein d’une musique (Guren no Yumiya de Linked Horizon) qui prône leur combat. L’équipement « tri-dimensionnel » utilisé pour combattre les titans permet de jolies scènes mais l’animation n’a rien d’extraordinaire, il y a beaucoup d’action en images fixes et le rythme de l’intrigue lasse très rapidement. Et pour cause : la sensation du simple parcours d’un point à un autre, semée d’embuches par des titans à combattre, n’est guère convaincante. On ajoute à cela un héros insupportable, mené par une conviction idéaliste, pantin d’un système militariste mis en valeur par la série. C’est peut-être le second opening de la saison 1 (l’encore plus accrocheur Jiyuu no Tsubasa) et la qualité des graphismes qui pousse à continuer par simple curiosité la série. Il faut dire que cette dernière a pour avantage d’offrir un trait plus fin que celui du manga, les visages sont travaillés et même davantage soignés que sur l’édition papier, l’animé obtient un bon point à ce niveau.
La deuxième saison démarre avec un titre devenu culte pour les fans d’animé, Shinzo wo Sasageyo, qui peut se traduire par « Offrez vos cœurs », de Linked Horizon. Le refrain reprend les discours du bataillon rejoint par les trois protagonistes principaux, associé à des images qui n’ont à priori rien à voir avec l’univers présenté dans la première saison et qui attisent la curiosité. On passe, du simple opening entraînant à une succession de nouvelles informations plus ou moins annoncées avec brio. C’est une introduction intelligente à la nouvelle dimension qui la série s’apprête à prendre - même s’il reste difficile d’en dire plus sans trop en révéler.
Le récit et ses précisions s’étoffent petit à petit, avec des descriptions de plus en plus visibles des techniques de combat utilisées ou des observations effectuées sur les titans, présentées à travers des cartons explicatifs. Si la première saison présentait une trame scénaristique extrêmement linaire, la deuxième apporte plus de complexité, à travers un panel de personnages tous bien mieux retranscrits, qui offrent un bon nombre de questionnements quant au chemin emprunté par l’œuvre. L’Attaque des titansdevient alors un fleuve salvateur par lequel on se laisse porter. Le shonen conventionnel en vient à douter – les doutes du héros, ceux du spectateur et ceux concernant le sens même du terme « certitude ». La deuxième saison de L’Attaque des titans est bien plus adulte que la précédente et fait de l’engagement d’Eren Jäger une source de questionnements, en rompant notamment avec son point de vue systématique. L’engagement aveugle du héros est remis en question et le désir et liberté, qui restait jusque là prétexte, s’illustre bien plus amplement. La mission du bataillon d’exploration prend sens à travers les rebondissements de l’intrigue. Tuer des titans n’est plus une fin en soi mais une façon d’accéder aux mystères, la soif de savoir remplace la confiance aveugle envers une bonne cause qui pouvait sonner vaine. Les ficelles de la saison 1 sont justifiées et le caractère suicidaire des escapades hors des murs s’explique par les prémices d’un déterminisme.
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La troisième saison, bien plus avare en action (dont les scènes sont pourtant devenues assez remarquables) pourrait faire office de douce parenthèse simplement dédiée au développement de ses protagonistes, en offrant des détails bien attendus. On pense notamment au passé du très apprécié Caporal Chef Rivaille et à la révélation d’une certaine Historia. Tout gagne en profondeur et de nouvelles thématiques sur la nature humaine apparaissent.
Cette troisième saison prend finalement le parti de noyer ses spectateurs sous un lot de nouvelles informations, accueillies dans le plus grand des plaisirs. L’univers de l’animé devient de plus en plus dense, nourrissant allégrement le récit. L’Attaque des titans est aussi un récit initiatique, dont le spectateur est traité à la même échelle que le jeune Eren Jäger. Lorsque dans la continuité de la saison 2, ce dernier voit son monde bouleversé et ses convictions mises à rude épreuve, nous sommes amenés à faire de même. Le spectateur est tiré hors de sa zone de confort, pour emmagasiner une réflexion sur ce qui nous compose et ce qui nous motive. La guerre menée par l’humanité devient évocatrice des objectifs de chacun d’entre nous, d’une liberté aussi rêvée que vaine à la quête d’un savoir qu’il faut parfois abandonner pour conserver son bonheur. Les murs qui protègent l’humanité deviennent symboliques et brassent des thématiques insoupçonnées, dont le rapport au passé et le devoir de mémoire. L’opening de Red Swan l’annonçait déjà : « what’s the truth, what to believe ? ».
Outre une intrigue de plus en plus passionnante, L’Attaque des titans se construit dans un imaginaire proche de notre monde, qui s’appuie beaucoup sur la mythologie nordique. L’architecture des villes est inspirée des cités européennes et le développement de l’intrigue se lie, par exemple, avec le mythe nordique d’Yggdrasil. La série utilise à merveille ses sources pour bâtir ses propres idées, formant un contexte assez solide pour contenir toutes les péripéties de son histoire. L’intrigue et l’univers se nourrissent mutuellement à merveille, jusqu’à parvenir à un paroxysme.
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On pouvait reprocher à L’Attaque des titans de présenter une vision extrêmement simpliste des choses, menée par une forte idéologie militariste. Ce discours instauré par Hajime Isayama est fortement bousculé à partir de la saison 2, dans lequel le bien et le mal commencent à se confondre, mais s’écroule complètement à partir du début de la saison 4, où toute la dichotomie est bouleversée. L’Attaque des titans devient un objet dont les interprétations sont complètement libres, uniquement soumises à des réflexions philosophiques. Après une ouverture radicalement différente de tout ce que l’on connaissait jusque-là, cette ultime saison se plaît à essorer les esprits des spectateurs, sujets à de nombreuses manipulations. L'histoire se nappe de désobéissance civile. Un nihilisme jusque-là trop discret apparaît au grand jour, pour être à plusieurs reprises contredit, et qui se mêle à des notions d’existentialisme créant un discours plus complexe que ce que le début de l’animé laissait présager. L'animé continue sa réflexion sur l’Histoire et la mémoire, là où personne n’espérait, à première vue, quelque chose d’aussi poussé. La série n’avait jamais été jusque-là aussi sombre et aussi complexe dans sa thématique de la liberté. Le ciel jusque-là bleu se teint d’orange, le crépuscule arrive et apporte avec lui le dénouement tant attendu. Il nous reste cependant un an pour digérer ce début de saison éreintant, avant de découvrir la toute fin de cet animé progressivement en train de devenir culte.
L’Attaque des titans a bâti, en seulement quatre saisons, un monde extrêmement dense, difficilement résumable, soupoudré de personnages plus ou moins complexes, avec quelques têtes réputées pour leur charisme. Terminer aujourd’hui le dernier épisode devient signe de supplice, d’abord parce que les révélations y sont intenses, et ensuite parce qu’on a du mal à concevoir toute l’attente qu’il reste jusqu’à la seconde partie de la saison 4, annoncée pour le premier trimestre 2022. Il se murmure d’ailleurs que certains fans de l’animé se rabattent déjà sur le manga, pour découvrir le destin réservé à Eren, Mikasa et Armin sur papier.
Manon