[CRITIQUE] : La Loi de Téhéran

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Saeed Roustayi
Acteurs :  Payman Maadi, Navid Mohammadzadeh, Parinaz Izadyar,...
Distributeur : Wild Bunch Distribution
Budget : -
Genre : Action, Drame, Policier.
Nationalité : Iranien.
Durée : 2h10min.
Synopsis :
En Iran, la sanction pour possession de drogue est la même que l’on ait 30 g ou 50 kg sur soi : la peine de mort. Dans ces conditions, les narcotrafiquants n’ont aucun scrupule à jouer gros et la vente de crack a explosé. Bilan : 6,5 millions de personnes ont plongé. Au terme d'une traque de plusieurs années, Samad, flic obstiné aux méthodes expéditives, met enfin la main sur le parrain de la drogue Nasser K. Alors qu’il pensait l'affaire classée, la confrontation avec le cerveau du réseau va prendre une toute autre tournure...



Critique :

Pure expérience aussi désespérée et claustrophobique que nihiliste, dont l'intelligence n'a d'égale que sa maîtrise folle, #LaLoideTéhéran est un thriller coup de poing, une plongée effrénée et sans concessions dans les méandres troublés du côté obscur du cinéma de genre iranien. pic.twitter.com/i46RN93wU8

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 27, 2021


Qu'on se le dise, il y a une sorte de je-ne-sais-quoi de profondément grisant au sein du cinéma de genre italien, ce petit quelque chose d'électrique émergeant autant d'un contexte national particulier, que de la manière qu'on ces cinéastes à savamment transcender les éléments familiers de genre spécifiques, accouchant de séances certes pas toujours originales, mais dans le même temps incroyablement passionnante et rafraîchissante.
Ne trahissant absolument pas cette vérité, La Loi de Téhéran de Saeed Roustayi - dont c'est le second passage derrière la caméra, après le brillant Life and a Day -, correspond parfaitement à cette définition d'une oeuvre qui ne bouscule jamais vraiment (et ce n'est pas non plus son attention), le giron du thriller/polar noir, mais dont la somme de toutes ses qualités en font indiscutablement, l'un des plus exaltants films policiers d'une année 2021 qui, on l'espère, pourra en dénombrer à la pelle.

Copyright Wild Bunch


Articulé autour de l'affrontement allant résolument plus loin que le concept du bien contre le mal, entre deux flics des stups et un baron de la drogue qui règne sur les rues difficiles de Téhéran (capitale désolée et parsemée de bâtiments en chantiers), la péloche questionne continuellement le coût humain dans les deux camps qui font vivre la guerre contre la toxicomanie qui gangrène l'Iran.
Des sanctions paralysantes (le système judiciaire impose la peine capitale pour les dealers, alors que les rangs des toxicomanes grossissent et devient même complètement hors de contrôle) à un chômage élevé, sans oublier une proximité inévitable avec l'Afghanistan (premier producteur mondial d'opium), voilà quelques-uns des innombrables problèmes qui ont conduit à une toxicomanie galopante.
Le trafic de drogue et le blanchiment d'argent vont de pair, et les prisons regorgent de personnes incarcérées pour des infractions liées ses crimes.
Avec son regard équilibré des deux côtés, n'épargant ni la violence ni les émotions dévastatrices de son prisme (ou l'on en vient à ressentir de l'empathie là où on ne l'aurait pas pensé de prime abord), agrémentant sa descente au coeur des enfers de séquences d'action palpitantes, ou même de portraits domestiques profondément déprimants; La Loi de Téhéran dépeint avec brio le danger et l'anxiété terrible que dégage la guerre contre la drogue, tout en considérant également les circonstances beaucoup plus larges, et spécifiquement iraniennes, qui la nourrissent.

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Exit une représentation glamourisée des barons de la drogue, nourrit à la pop culture (qui ne pense pas à Tony Montana rien qu'en lisant ses mots ?), ou même héroïque des différentes réponses gouvernementales luttant contre eux, le film, dans la pure mouvance de la vénérée The Wire -, qui ne masque jamais les dynamiques sociales conduisant à cette guerre sans fin, suit à la même échelle le rise and fall de son policier vedette, Samad (Payman Maadi, toujours parfait) et de son baron Nasser Khakzad (Navid Mohammadzadeh, magnétique), pointant du bout de la caméra que leurs amoralités : chacun d'eux ment aux autres mais surtout à eux-mêmes, chacun d'eux pense que ses actions sont justifiées, à la fois dans le contexte de leur propre ambition individuelle, qu'au service d'un projet bien plus grand qu'eux.
Si les actions de Nasser à grande échelle font de lui un monstre (il participe férocement à la destruction lente et cruelle de la vie de milliers de ses compatriotes), ses interactions avec ses proches laissent pointer les traits d’un homme tendre et sujet à des accès de rage juste.
Samad lui, travaille pour nettoyer une ville dans laquelle les familles sont infectées par la toxicomanie, n'hésitant pas à faire mentir des femmes et des enfants pour faire tomber leurs maris et leurs pères, totalement conscient que le trafic de drogue corrompt tous ceux qu’il touche, lui le premier (qui poussr l'ambiguïté fondamentale du métier de policier jusqu'à son ultime limite).

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Vraie expérience de cinéma aussi désespérée (comme son pays, dans tous les sens du terme) que claustrophobique (les séquences carcérales ou l'humanité n'a plus sa place) et nihiliste, dont l'intelligence n'a d'égale que sa maîtrise incroyable, aussi bien scénaristique que formelle; La Loi de Téhéran est une oeuvre coup de poing, une course puissante, effrénée et sans concessions dans les méandres troublés du côté obscur du cinéma de genre iranien, dont on ne ressort pas indemne.
Une oeuvre complexe et grandiose qui livre un regard fort sur une certaine tranche de la société iranienne, rarement dégainée au-delà des frontières même du pays, et qui démontre sans trembler que Saeed Roustayi est désormais l'une des voix les plus importantes du cinéma locale.

Jonathan Chevrier