[CRITIQUE] : Balloon

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Pema Tseden
Avec : Sonam Wangmo, Jinpa, Yangshik Tso,...
Distributeur : Condor Distribution
Budget : -
Genre : Drame.
Nationalité : Chinois.
Durée : 1h42min
Synopsis :
Au cœur des étendues tibétaines, Drolkar et son mari élèvent des brebis, tout en veillant sur leurs trois fils. En réaction à la politique de l’enfant unique imposée par Pékin, elle s’initie en secret à la contraception, pratique taboue dans cette communauté traditionnelle. La maigre réserve de préservatifs qu’elle se procure au compte-gouttes devient alors son bien le plus précieux. Le jour où elle surprend ses enfants en train de jouer dehors avec les « ballons » volés sous son oreiller, Drolkar sait aussitôt qu’elle va devoir tout affronter : les reproches des aînés, le poids de la tradition, le regard des hommes. Et une naissance à venir…


Critique :

D'un symbolisme subtil pour évoquer les liens invisibles entre la foi, la superstition et les préjugés, #Balloon, constamment à la lisière du documentaire, est une fable pleine d'énergie, de poésie et de vie dans son opposition captivante entre la foi boudhiste et la modernité. pic.twitter.com/7gY0O1Ni00

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) May 31, 2021

Force est d'avouer que pour tout cinéaste tibétain désirant un tant soit peu, même avec toute la perspicacité et la meilleure des volontés du monde, éclairer le spectateur occidental sur la culture et la vie quotidienne de sa propre patrie, tout en naviguant à vue face aux restrictions furieusement changeantes de la Chine; se lance dans une sorte d'odyssée labyrinthiques qui a de furieuses allures de mission impossible.
Pourtant, fort d'une filmographie dense et captivante, Pema Tseden fait presque état d'ovni dans sa manière de raconter les vicissitudes du Tibet, en évitant les pièges faciles de la simple ethnographie ou même de la fragile observation sociale.
De retour dans nos salles obscures , il nous revient avec Balloon, un magnifique drame familial et intime autant qu'une déclaration artistique idiosyncratique parsemée d'humour et de tristesse, mais toujours vibrante et inspirée dans son regard sur la coexistence entre banal et le spirituel.

Copyright Condor Film


Flanqué au début des années 80, époque charnière ou la Chine vient d'imposer sa politique draconienne de contrôle de la population, on y suit les aléas de trois générations d'agriculteurs tibétains, gravitant autour du vigoureux Dargye, déjà père à trois reprises, et qui doit veiller à ce que sa femme Drolkar, ne soit pas enceinte à nouveau, sous peine de recevoir une amende qui paralyserait définitivement sa ferme déjà sérieusement en difficulté.
Avec ses faux airs de comédie dramatique légère glissant lentement mais sûrement vers le conte doux-amer, ou les rapports de force sont étonnamment redistribués (Drolkar, d'une domesticité silencieuse, s'avère se révèle progressivement moins sage et servile qu'elle ne le semble), le film tisse posément une broderie somptueuse même si parfois trop dense pour son bien (quelques sous-intrigues, comme celle de la soeur religieuse de Drolkar et du malentendu sentimentale qui l'a séparé de son amour de jeunesse, désormais professeur de son neveu), ou la foi boudhiste et la modernité n'ont de cesse de se heurter, même dans des événements ou elles ne semblent pas fondamentalement liées de prime abord (comme une mort subite et une grossesse non désirée, convoquant une croyance bouddhiste selon laquelle les âmes des ancêtres décédés peuvent se réincarner dans les corps des enfants à naître).

Copyright Condor Film


D'un symbolisme subtil pour évoquer les liens invisibles entre la foi, la superstition et les préjugés (les références visuelles à la myopie ou à la vue défaillante, sont légions, que ce soit les lunettes de l'enseignant, les images aperçues à travers un préservatif gonflé comme un ballon,...), barrières aveuglantes qui séparent les âmes; Balloon est une fable pleine d'énergie, de poésie et de vie à la philosophie, flirtant constamment avec la frontière du documentaire dans sa volonté de réalisme extrême (et même parfois magique), et sublimé autant par la musique obsédante de Peyman Yazdanian, qu'un casting totalement voué à sa cause (des comédiennes et comédiens réguliers du cinéaste, Jinpa et Sonam Wangmo en tête).
Une jolie escapade dans les salles obscures, qui embaume fougueusement nos coeurs tel le vent embrasse la campagne sèche et froide sèche du Tibet.
Jonathan Chevrier