[CRITIQUE] : Cruella

Par Fuckcinephiles

Réalisateur : Craig Gillepsie
Acteurs : Emma Stone, Emma Thompson, Emily Beecham, Kirby Howell-Baptiste, Joel Fry, Mark Strong,...
Distributeur : The Walt Disney Company France
Budget : -
Genre : Comédie, Drame, Famille.
Nationalité : Américain.
Durée : 2h14min
Synopsis :
Londres, années 70, en plein mouvement punk rock. Escroc pleine de talent, Estella est résolue à se faire un nom dans le milieu de la mode. Elle se lie d’amitié avec deux jeunes vauriens qui apprécient ses compétences d’arnaqueuse et mène avec eux une existence criminelle dans les rues de Londres. Un jour, ses créations se font remarquer par la baronne von Hellman, une grande figure de la mode, terriblement chic et horriblement snob. Mais leur relation va déclencher une série de révélations qui amèneront Estella à se laisser envahir par sa part sombre, au point de donner naissance à l’impitoyable Cruella, une brillante jeune femme assoiffée de mode et de vengeance…


Critique :

Faussement anarchique et bordélique, #Cruella évite l'aspect unidimensionnel et merveilleusement caricatural du personnage, pour embrasser un portrait " Joker-esque " à la bifurcation tellement confuse entre les deux personnalités, qu'elle doit être constamment nommée à l'écran. pic.twitter.com/yLOyelI3j3

— Fucking Cinephiles (@FuckCinephiles) June 23, 2021

Les incarnations précédentes de Cruella de Vil, y compris celle du film d'animation de 1961 (qui avait concocté une chanson savoureusement macabre dédiée à sa bassesse et à son hystérie géniale), ont fait allégeance à la méchanceté étrange du personnage : une femme excentrique capable de tout pour assouvir ses désirs, même assassiner d'adorables petits chiots pour venir garnir sa garde-robe (ne cherchez plus, c'est bien elle la vilaine Disney a nous avoir le plus traumatisé durant notre enfance).
Si le rouleau compresseur lisse et policé de la maison-mère Disney n'avait pas éteinte la partition déjantée de Glenn Close au début des années 2000, la nouvelle version portée par le tandem Craig Gillepsie/Emma Stone, qui joue la carte du prequel sur ses jeunes années de créatrices de mode, offre une image bien trop sympathique et moderne d'un personnage censé évoluer dans le Londres des 70s.

Copyright 2021 Disney Enterprises, Inc.All Rights Reserved.


Incarné avec un aplomb génial et un esprit décalé par une Emma Stone inspiré, Cruella 2.0 est ici une arnaqueuse/influenceuse plus compliquée (mais pas complexe) et peu sympathique que réellement vilaine et dangereuse; une instagrameuse mode nageant dans la jungle de la Fashion Week plus qu'un diable habillé en Prada, une psychopathe aussi déterminée qu'elle est terrifiante.
Un révisionnisme moderne pas si éloigné de ce que Disney nous avait déjà proposé avec Maleficent, ici perceptible dans sa volonté de raconter à nouveau l'histoire d'une femme fascinante et merveilleusement dépravée (au point d'avoir pour nom de famille, celui du diable), dont on justifierait le diabolisme férocement ancré en elle par un sempiternel traumatisme enfantin, pour mieux l'amener vers le terrain de l'empathie et même d'une hypothétique rédemption.
Mais la méthode ne marche pas à tous les coups, et cette nuance forcée, ce refus d'embrasser toutes les complications du mal absolu, matiné autant de féminisme que de revanche personnelle (ou de quête de justice, pour une question de nuance, dans le film ce n'est jamais exprimé clairement), fait que la Cruella de Gillepsie n'a strictement plus rien de la Cruella que l'on connaît, une anti-héroïne mauvaise mais pas méchante à la différence de la cruelle Baronne - géniale Emma Thompson.

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Exit donc l'aspect unidimensionnel et merveilleusement caricatural de Cruella (puisqu'il est martelé bien trop souvent que le personnage a un bon fond), dont la dépravation est gentiment cédée à sa nemesis, bonjour le portrait " Joker-esque " à la bifurcation tellement confuse entre les deux personnalités - Estella et Cruella - quelle doit être constamment nommée à l'écran (elle n'est pas bonne ou mauvaise : elle est les deux... d'accord).
Faussement anarchiste et bordélique, maladroit et traînant gentiment en longueur pour présenter sa protagoniste comme une anti-héroïne féministe, quand elle ne décrédibilise pas tout son édifice (comment justifier le basculement vers le côté obscur du personnage à l'avenir, lorsqu'elle sera amenée à croiser la route des dalmatiens ?), Cruella contredit l'aura même de tout ce qu'est un vilain Disney (des personnages grandiloquents et iconiques ignorant studieusement la norme, logant aux portes de la différence et qui, surtout, n'ont aucun intérêt à résider ailleurs), pour lui préférer un frisson plus conventionnel et jamais transgressif, voire même parfois totalement contradictoire dans son autonomisation : elle a beau incarner une femme prétendument punk et dont le succès est celui de tous les marginalisés (qui l'aideront évidemment tous dans sa quête de vengeance/justice/reconnaissance), son objectif premier est finalement d'être respecté au sein de l'establishment et d'être comme la Baronne.

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Cette Cruella, au demeurant pas si désagréable que cela à suivre pour autant (et c'est tout le paradoxe de cette entreprise difficilement identifiable, mais aussi de notre attachement certain à Emma Stone), incarne donc cette idée (très) contemporaine que tout méchant n'est pas fondamentalement méchant au fond - syndrome Bisounours -, embrassant une condescendance désinvolte tout en laissant transparaître un penchant si ce n'est doux, au moins un tant soit peu tendre et humain.
Cela plaira à certains - voire à la majorité du grand public -, nous on préférera nettement plus la vanité et l'allégresse maniaque d'une Glenn Close qui s'éclate à faire le mal comme la bouteille rouge d'Orangina.
Pourquoi était-elle aussi méchante ? Parce que, et c'était très bien comme ça.
Jonathan Chevrier