Près d'une décennie après "Holy Motors" (2012) voici donc le retour de Leos Carax, enfant terrible du cinéma français qui revient en faisant l'ouverture du Festival de Cannes 2021 avec ce projet dont il n'est pas à l'origine. En effet, cette "comédie musicale" façon opéra-rock est avant tout un projet des frères Ron et Russell Mael, fondateurs et membres du groupe rock les Sparks - fondé en 1968 et toujours actif après 24 albums studios, et référence majeure pour des artistes comme Depeche Mode, Bjork ou encore New Order. À la base les deux rockers avaient choisit Carax après avoir constaté que Denis Lavant écoutait leur titre "How are you Getting Home ?" dans "Holy Motors", et le projet était une comédie musicale de commande nommée "The Seduction of Ingmar Bergman" mais n'a pas spécialement séduit le réalisateur. C'est alors que les deux auteurs-compositeurs ont planché sur un nouveau projet qui donnera "Annette". Les deux frères sont donc auteurs-compositeurs et scénaristes du film mis en scène par Leos Carax. Pour anecdote : les deux membres des Sparks apparaissent dans le film catastrophe "Le Tobbogan de la Mort" (1977) de James Goldstone dont il signe la B.O., et Leos Carax interprète avec eux le titre "When You're a French Director" sur leur album "Hippopotamus" (2017). À noter que ce film est le premier dans lequel n'apparaît pas l'acteur fétiche du réalisateur, Denis Lavant...
Los Angeles, Henry un comédien de stand-up à l'humour féroce forment un couple épanoui et glamour avec sa femme Ann, une cantatrice célèbre. Mais quand arrive leur premier enfant, Annette, une fillette mystérieuse, leur destin va être bouleversé... Pour le rôle de Ann, Rooney Mara a d'abord été annoncé, puis Michelle Williams, puis lancé avec Kristen Stewart en tête d'affiche avant qu'au dernier moment le rôle soit dévolu à la frenchy Marion Cotillard qui chante donc de nouveau après (2007) de Olivier Dahan, qui retrouve la comédie musicale après "Nine" (2009) de Rob Marshall dans un contexte plus rock qu'un certain (2017) de et avec Guillaume Canet. Le conjoint Henry est incarné par Adam Driver vu auparavant dans un autre drame conjugal avec "Marriage Story" (2019) de Noah Braumbach, puis ensuite dans l'ultime "Star wars IX : l'Ascension de Skywalker" (2019) de J.J. Abrams. La petite Annette est incarnée par une jeune inconnue, Devyn McDowell. Citons un chef d'orchestre joué par Simon Helberg surtout connu pour la série TV "The Big Bang Theory" (2007-2019) mais aperçu au cinéma entre autre dans "A Serious Man" (2009) des frères Coen et "Florence Foster Jenkins" (2016) de Stephen Frears, un shérif joué par Nino Porzio chanteur italien vu dans la série TV "Gomorra" (2016) et dans le film (2013) de Ron Howard. Citons aussi deux actrices japonaises, Rila Fukushima vue dans "Wolverine : le Combat de l'Immortel" (2013) de James Mangold et "Ghost in the Shell" (2017) de Rupert Sanders, et Kikoa Mizuhara vue dans "La Ballade de l'Impossible" (2011) de Tran Anh Hung et "L'Attaque des Titans" (2015) de Shinji Higuchi. Puis enfin précisons que Leos carax et les Sparks apparaissent dans le film... Le film s'ouvre sur une intro rock inspirée et énergique qui donne le La d'un opéra-rock envoûtant et onirique. Le couple se compose d'une chanteuse lyrique renommée et adulée, puis d'une vedette du stand-up à l'humour décapant. Si la chanteuse lyrique fait du lyrique, l'humoriste laisse plus perplexe car son spectacle n'a rien de drôle, son personnage est trop antipathique pour croire à un comique ce qui nous empêche de croire à son succès. Il aurait presque fallu choisir un comique qui essaie de percer plutôt que d'en faire une vedette à succès. C'est sans doute le plus gros défaut du film.
Par contre, si on occulte la partie "drôle" du one man show Adam Driver offre une performance dantesque, humaine et même parfois touchant malgré l'antipathie et le crime et se place clairement comme un lauréat potentiel au Prix d'Interprétation à Cannes. Marion Cotillard n'est pas en reste mais dans un rôle plus lunaire et plus "star idéale". On mettra un bonus pour la petite Devyn McDowell pour un dernier acte où elle tient la dragée à la star du film même si les paroles de "Annette" peuvent aussi laisser place à certaines interrogations. La petite comédienne incarne Annette en chair et en os mais Annette est aussi une marionnette animatronique, choix plus "palpable" car Leos Carax ne voulait pas du numérique et de son côté superficiel. Choix judicieux, d'autant plus que la marionnette est magnifique. Carax prend des risques à chaque instant, quasi pas de dialogues autre que les thèmes musicaux, musicalement cohérent qui oscille entre lyrique et rock, tandis que les paroles sont entre mélancolie et drame de l'amour. On reconnaît surtout le style des Sparks, un groupe qui risque fort de séduire ceux qui ne connaissaient pas le groupe. Carax signe une réalisation inspirée qui use des effets multiples pour qu'il y ait toujours quelque chose qui se passe à l'image, surimpression, symétrie, plan-séquence... etc... La caméra bouge beaucoup, elle est fluide mais sait se poser à bon escient. Le côté onirique n'est pas, comme on pourrait le penser, dans la marionnette Annette, mais bien dans tous les décors et l'atmosphère, on pourrait penser que toute l'histoire est un rêve. Les décors sont souvent minimaliste, en carton pâte parfois, seulement partiel comme sur le bateau, comme si on ne pouvait vraiment voir le monde car engoncé dans un songe au bord délimité. Quelques passages rappellent pourtant la réalité du quotidien comme aller aux toilettes, ce qui d'ailleurs arrivent un peu comme un cheveu sur la soupe. Le parallèle mort/vie n'est pas très probant, notamment à cause d'un humoriste qui "ne vaut pas mourir" mais qui ne transmet jamais l'envie de vivre, alors que la différence scène et réalité n'est pas exploité. Les sujets du féminicide et de l'exploitation des enfants est plus parlant mais aussi plus caricatural, mais cela reste bien intégré grâce à l'atmosphère onirique et fantasmagorique. Leos Carax signe un film aussi envoûtant que fascinant, le mise en scène se marie à merveille avec l'histoire et la musique des Sparks, on pourrait surtout tiquer sur la longueur surtout dans la seconde partie après le "twist" ou on aurait pu raccourcir de 10-15mn. Néanmoins, Leos Carax signe peut-être là son meilleur film depuis "Les Amants du Pont-Neuf" (1991)...