[Festival de Cannes 2021] Revue de presse à mi-parcours

Par Boustoune

Après la première semaine de compétition cannoise, il est temps de faire un premier bilan sur les films de la compétition qui ont semblé enthousiasmer la critique et sur ceux qui, au contraire, se sont pris des coups de plumes assassins.

On attendait que Benedetta, précédé d’une sulfureuse réputation, créée le scandale sur la Croisette, mais apparemment, cette histoire de nonnes lesbiennes, de vrai-faux miracles et d’ecclésiastiques de peu de foi n’a pas choqué grand monde. Le nouveau film de Paul Verhoeven a juste divisé les festivaliers.
Certains ont apprécié son humour corrosif et sa critique cinglante du pouvoir ecclésiastique, comme Nicolas Schaller pour le Nouvel Obs “Une délectable satire du pouvoir, doublée d’un portrait de femme comme [Verhoeven] les aime”. D’autres, comme Eric Neuhoff, du Figaro, parlent du film comme d’un “navet libidineux” ou, comme Simon Riaux, d’Ecran Large, d’un récit “embarrassant jusqu’au bout de l’hostie”. De notre côté, on penche plutôt pour le premier clan, même si on peut comprendre que le côté kitsch de l’oeuvre puisse gêner.

C’est plutôt La Fracture qui a suscité le plus de polémiques. Ou du moins, les propos peu amènes de Pio Marmaï à l’encontre du Président de la République, Emmanuel Macron, lors de la conférence de presse du film. L’acteur, qui incarne un camionneur gilet-jaune dans le nouveau film de Catherine Corsini, a déclaré “Macron j’aimerais bien aller chez lui en passant par les chiottes et par les tuyaux et lui péter la gueule ». Une phrase qui, sortie du contexte, n’a pas manqué de faire réagir sur les réseaux sociaux et dans les sphères politiques – en attendant l’allocution du Président de la République, en réponse à cette polémique ? Pio Marmaï en a pris pour son grade sur Twitter, après avoir été, en caricaturant à peine, promu leader de ces artistes gauchistes (“islamo” est sous-entendu) qui vivent sur le dos du système et jouent les rebelles dans des films intellos prétentieux… Alors qu’il répondait juste à la question d’une journaliste qui lui demandait ce qu’il dirait au président s’il en avait l’occasion et que sa réponse était un peu plus nuancée que cela…
Le film, en tout cas, semble avoir occasionné la même fracture entre les festivaliers.  Libération, sous  la plume de Didier Péron, fustige un film qui “appose sur la cassure réelle et neuve du corps social l’emplâtre de la vieille fiction de gauche”, tandis que Renan Cros, pour Trois Couleurs, trouve le film “très réussi” et remarque que la cinéaste Catherine Corsini “filme l’hôpital comme le symptômes d’une société en pleine crise de nerfs, entre rire, violence et folie.

François Ozon semble aussi avoir divisé avec Tout s’est bien passé et son sujet assez casse-gueule – l’euthanasie.
Si certains soulignent la sensibilité du cinéaste et sa  capacité à aborder en douceur des sujets particulièrement épineux, d’autres regrettent une mise en scène appuyée et un jeu d’acteurs un brin cabot?.
Mehdi Omaïs s’enthousiasme sur Twitter : “Sa chronique sur la fin de vie est aussi touchante que drôle, et le face-à-face entre Sophie Marceau et André Dussollier (prix d’interprétation possible) est parfait.”. Fabrice Leclerc aussi : “Dieu que #FrancoisOzon est grand quand il va à l’épure. Simple et percutante, son adaptation de Bernhein force un respect aérien et jamais lacrymal.”. En revanche, ça grogne du côté de Cyprien Caddeo, pour qui “Le cinéaste s’efface trop derrière son sujet : le film manque cruellement de cinéma, au point de phagocyter le talent de ses interprètes.”.
Dans Libération, Julien Gester fait le parallèle entre ce film et Etre vivant et le savoir d’Alain Cavalier, qui racontait la même histoire, et  déplore le côté “fade et ténu” du film d’Ozon, lui reprochant d’être incarné par des stars qui sont là pour “rappeler l’état de performance, de numéro à l’oeuvre”, ce qui étouffe toute possibilité d’identification aux personnages, et toute émotion.

Le genou d’Ahed semble aussi avoir divisé la critique. Libération parle d’ “électrochocs” et loue la créativité du cinéaste : “Lapid crée par figures de style, sa furie formelle invente des tropes qui n’ont pas encore de nom”. Thomas Gastaldi abonde dans ce sens et affirme que “si la mise en scène kamikaze n’est pas célébrée à sa juste valeur, son acteur Avshalom Pollak est un sérieux postulant [au prix d’interprétation masculine]”.
Mais Jean-Baptiste Morel, lui, déplore la perte de ses tympans et voit dans le film un “gros prétendant à l’acouphène d’or.”

Il est plus enthousiaste pour Lingui de Mahamat-Saleh Haroun, à qui il attribuerait bien dès à présent la Palme d’Or. Ce n’est pas le cas de Ronan Cros, qui trouve que “le sujet est fort (la sororité et le poids du patriarcat sur les corps féminins), il y a des plans vraiment très beaux mais tout ca reste quand même beaucoup trop didactique.”. Des rares réactions recueillies, on comprend qu’avec ce film, les sélectionneurs ont voulu mettre en avant les efforts du cinéaste pour porter le cinéma africain, même si le manque de moyens et de professionnalisme devrait empêcher le film de briller au palmarès. A moins que Spike Lee n’y voit l’occasion de faire briller une cinématographie marginale et de récompenser le travail du méritant cinéaste tchadien.

Si beaucoup de films ont divisé – c’est bien normal à Cannes – il semble y avoir eu une relative unanimité autour du nouveau film de Sean Penn, Flag day. Hélas contre lui…
Aïe, après le gadin (mérité) de The Last face, l’ancien chouchou de la Croisette semble s’être une fois de plus pris les pieds dans le tapis rouge après s’être emmêlé les pellicules au montage…
Dans Paris-Match, Yannick Vely parle d’une mauvaise imitation de Terrence Malick, quand Florent Fessemeyer, des Fiches du cinéma, dénonce carrément sur Twitter “une purge : de grosses ficelles tout le long d’un film mièvre, gros moment d’ennui”.
Simon Riaux, avec son humour toujours décapant, en rajoute une couche : “Je ne sais pas si #SeanPenn a mis la main sur les codes nucléaires ou s’il menace la France de nous envoyer une armée de clones d’El Chapo. Mais il faut faire quelque chose. Ce cauchemar doit cesser.”.
Néanmoins, ce film apparemment médiocre ou inabouti n’est pas exempt de qualités, à en croire Geoffrey Nabavian pour Toute la culture, notamment l’interprétation de Sean Penn : “on emporte du film le souvenir d’une grande interprétation de la part de Sean Penn”.

Les films qui semblent avoir le plus enthousiasmé les festivaliers sont Annette et surtout Julie en 12 chapitres. Initialement considéré comme un outsider, le film de Joachim Trier semble aujourd’hui s’inviter parmi les favoris – du moins pour les festivaliers, ce qui n’est jamais une garantie de figurer au palmarès final. Pour Damien Leblanc, cette “comédie pleine de grâce et de vivacité (…) est la belle surprise de ce début de compétition cannoise”. Abus de ciné va encore plus loin en qualifiant le film de “merveilleuse surprise”. Certains ont même déjà ressorti l’expression “Palme du coeur”.
A l’inverse de Flag Day, on trouve peu de voix ou de plumes pour contrebalancer cette belle unanimité. Gautier Roos, sur Twitter, s’y essaie : “ J’avais envie de défendre ses précédent films malgré les maladresses, mais ce ce #JulieEn12Chapitres réclame tellement l’étiquette ‘charme’ au forceps qu’il en devient désagréable…”.

Le film qui a le plus fait meugler est sans doute Cow. Présenté dans la section Cannes Première, le film d’Andrea Arnold, présidente du jury Un Certain Regard, nous invite à un face-à-face avec… une vache. Le film repose sur un parti-pris de mise en scène radical qui est de filmer non-stop la protagoniste principale, Luma, vache laitière dans une petite exploitation agricole, sans voix-off explicative, sans interview des humains qui travaillent à l’exploitation et qu’on ne voit qu’épisodiquement, quand il s’agit d’aider les vaches à mettre bas.
Si notre confrère Mehdi Omaïs avoue n’avoir “pas compris grand chose aux intentions d’Andrea Arnold”, il dit que ça lui a fait malgré tout “plaisir de voir des vaches sur grand écran”. Timé Zoppé, de Trois Couleurs, y voit en revanche un “déchirant conte bovin”, joliment expliqué par Le Bleu du Miroir : “un manifeste visant à secouer les consciences en donnant à voir l’envers du décor (…) et en déconstruisant une idée reçue collective selon laquelle les vaches produiraient naturellement du lait.”
En tout cas, tous s’accordent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un documentaire, mais d’un film qui porte la patte – et le sabot – d’Andrea Arnold, et qui s’insère bien dans le reste de sa filmographie, Luma partageant avec les héroïnes de ses précédents films l’envie de fuir un quotidien sordide et de trouver une brève lueur d’espoir et de liberté. Ca donne envie de le découvrir…