Le retour de Julia Ducournau, réalisatrice remarquée et remarquable du film d'horreur made in France "Grave" (2017) qui avait fait grand bruit à l'époque de sa sortie. Après un premier film si réussit la cinéaste a eu quelques appréhensions sachant qu'elle serait attendue, à tel point qu'elle a eu une panne d'inspiration d'une année avant de pouvoir finir l'écriture de son nouveau projet. Elle précise : "J'ai vraiment essayé de faiure un film qui décoche une flèche, qui soit avant tout une expérience dont on sorte comme d'une épreuve physique... (...) ... J'aime beaucoup l'idée d'un film évolutif, de la même manière que la protagoniste mue. Jusqu'à la fin, le film perd des couches pour aboutir à son essence : comment l'humanité peut naître d'un monde qui est une terre brûlée stérile, où il n'y a pas d'amour ?"... Julia Ducournau porte une nouvelle fois les casquettes de réalisatrice-scénariste pour une histoire dont l'inspiration vient d'un rêve où elle accouchait de pièces moteur ! Film présenté au Festival de Cannes 2021...
Une fillette, Alexia, est opérée après un accident de voiture et se retrouve avec une plaque de titane dans la tête. Une vingtaine d'année plus tard, Alexia est restée très éloignée de son père jusqu'à devoir fuir alors que la Police recherche un tueur en série. Elle décide de prendre la place d'un enfant disparu il y a des années, et elle est reconnue comme le fils perdu par un père pompier prêt à tout pour croire au retour de son fils, mais Alexia doit aussi apprivoiser un corps qui change... L'héroïne est incarnée par Agathe Rousselle dans son premier rôle, créatrice du fanzine féminin et féministe "Peach". Le père qui retrouve sn fils est joué par Vincent Lindon qui bascule encore entre les genres après (2018) de Stephane Brizé, "Dernier Amour" (2019) de Benoit Jacquot et (2021) de Jan Kounen. Le fils est joué par Laïs Salameh vu dans la série TV "Skam France" (2018-...). Citons ensuite Myriem Akheddiou vu dans "Deux Jours, Une Nuit" (2014) et "Le Jeune Ahmed" (2019) tous deux des frères Dardennes, Dominique Frot (soeur de Catherine) qui a ébordé le film d'horreur avec "À l'Interieur" (2007) et "Aux Yeux des Vivants" (2014) de Alexandre Bustillo et Julien Maury, et surtout on retrouve Garance Marillier révélation de "Grave" vue depuis dans (2019) de Anna Falguères et John Shank puis récemment dans "Madame Claude" (2021) de Sylvie Verheyde. Citons aussi un petit rôle mais important joué par Bertrand Bonello, réalisateur de films comme "Le Pornographe" (2001), "L'Apollonide : Souvenirs de la Maison Close" (2011) ou (2016)... Le film s'ouvre par un prologue sur un accident aux conséquences graves où on décèle une relation père-fille mauvaise voir inexistant ou sans amour. On se retrouve environ 20 après dans un long plan-séquence, la fillette est devenue une femme mutique, solitaire et sexy qui danse dans une sorte de discothèque "mécanique" digne de "Fast and Furious". Un début de film qui intrigue fortement donc, on se pose d'abord des questions sur cette relation père-fille sans sentiments, l'un et l'autre semblant même s'ignorer, ensuite l'atmosphère très méca et tuning jusqu'aux filles s'avère un trompe-l'oeil où l'héroïne semble une simple gog-danseuse hyper-sexualisée aux élans de serial killeuse.
Les 15 premières minutes sont envoûtantes et imposent un style radical et un climax qui rappellent du David Cronenberg ("Videodrome" en 1983 ou encore en 1996), mais on pourrait même penser à du Gaspard Noé ("Irréversible" en 2002 ou en 2018), mais surtout on ne serait pas surpris que Julia Ducournau ait vu le magnifique "Tetsuo" (1989) de Shinya Tsukamoto. L'intrigue pourtant ne démarre vraiment qu'avec l'entrée du père/Lindon qui reconnaît son fils disparu. Soudain, le film qui semblait un thriller psycho-urbain va aussi être un drame amoureux surprenant et fascinant entre une "femme/homme cyborg" et un père dopé aux stéroïdes. On se doute que la cinéaste a voulu interroger sur l'identité et le genre/transgenre mais sur ce point ça reste relativement peu probant. On préfère le film de genre en soi, la métamorphose des corps comme des sentiments, l'atmosphère ambiant façon cauchemar éveillé, et on aime la radicalité jusque dans la violence et surtout sans hésiter à aller vers une certaine laideur, une autre forme de beauté. Notons aussi un magnifique travail sur les effets spéciaux et les maquillages, impressionnant pour un film d'auteur français dont les 2-3 dernières minutes qui restent gravées. En prime un duo d'acteurs impressionnants d'abnégation et d'investissements, si on est pas étonné par un Vincent Lindon dans un rôle inédit pour lui, on ne peut que remarquer la grande révélation du film, Agathe Rousselle. Julia Ducournau signe un film encore plus radical que "Grave", encore plus audacieux, un OFNI (Objet Filmique Non Identifié) qui montrequ'il faut compter sur elle pour s'imposer comme une et un des meilleurs réalisateurs français. Un film qui va assurément créer des clivages, mais il reste un film assez singulier et unique pour le voir d'ores et déjà comme une expérience à conseiller et à voir.