Les granges brûlées

Par Platinoch @Platinoch

Un grand merci à Coin de Mire Cinéma pour m’avoir permis de découvrir et de chroniquer le blu-ray du film « Les granges brûlées » de Jean Chapot.

« Je ne pense pas. Je constate! »

Dans le Haut-Doubs, une ferme enfouie sous la neige enferme pour l’hiver une famille, un troupeau et les tonnes de fourrage nécessaires. Cette famille, c’est celle de Rose, 50 ans, robuste, intelligente, sans méchanceté. Elle règne sur sa petite tribu : un mari, des enfants, des belles-filles, des petits-enfants. Et jusqu’à la nuit où le cadavre d’une jeune femme poignardée avec sauvagerie est découvert proche de la ferme, la famille de Rose vivait une vie quotidienne sans histoires. L’enquête se déclenche, et très vite, le juge d’instruction, Pierre Larcher, en vient à soupçonner la ferme et en particulier les fils de Rose. C’est entre Larcher et Rose, ces deux forces face à face, que va se jouer cette partie, que s’engage ce duel à mort…

« Je resterai ici jusqu’à ce qu’on trouve le coupable. Je ne peux pas imaginer que quelqu’un quelque part vive en liberté après avoir massacré cette pauvre femme »

Deux ans après avoir partagé l’affiche de « La veuve Couderc » (1971) de Pierre Granier-Deferre, le producteur Raymond Danon cherche un nouveau projet permettant de réunir à nouveau devant la caméra Simone Signoret et Alain Delon. Son choix s’arrête sur le film policier « Les granges brûlées » dont la réalisation est confiée à son scénariste Jean Chapot, homme de théâtre pour l’essentiel et qui n’a alors qu’une expérience très limitée du cinéma. A son actif, il ne compte en effet que deux films : un long-métrage (« La voleuse » en 1966 avec Romy Schneider) et un court-métrage (« Le fusil à lunettes » en 1972) qui a néanmoins été récompensé de la Palme d’or du Court-métrage au Festival de Cannes. Mais malheureusement pour lui, le tournage du film se révèle chaotique. Dépassé par les enjeux du projet, Chapot ne parvient pas à s’imposer face au poids écrasant de ces deux vedettes qu’il a toutes les peines du monde à diriger. Au point d’être finalement évincé par la production qui laisse, officieusement, Alain Delon achever lui-même la réalisation. Ce sera d’ailleurs là la dernière réalisation pour le cinéma de Jean Chapot qui mènera par la suite une carrière plus fructueuse de réalisateur pour la télévision.

« C’est une femme remarquable qui ne rigole pas avec la vie »

Tourné la même année que « L’affaire Dominici » de Claude Bernard-Aubert, « Les granges brûlées » semble étrangement s’inspirer de ce célèbre fait divers criminel dont il replace l’intrigue au cœur de la campagne reculée jurassienne. Là, en rase campagne enneigée, une jeune touriste est retrouvée assassinée dans sa voiture, délestée qui plus est d’une importante somme d’argent. Le genre d’incident crapuleux et sordide qui attire l’attention des médias de tout le pays, venant ainsi trouble la quiétude de ce petit village rural anonyme. Surtout, cela donnera lieu à une confrontation anthologique entre un juge pugnace, fraichement débarqué de Paris, et la mère du principal suspect, matriarche rustique qui dirige le clan familial d’une main de fer. Les deux personnages se livreront ainsi à un face-à-face en forme de poker menteur, teinté de bluff, de manipulation et d’un étrange respect mutuel, qui fera tout le sel du film. Mais en creux, « Les granges brûlées » esquisse aussi le portrait lucide d’une France alors en pleine mutation sociale où s’opposent deux monde qui ne se comprennent pas : celui de la modernité des villes (symbolisé par le juge) et celui, déclinant, du monde rural traditionnel (symbolisé par Rose). D’ailleurs, les enfants de Rose ne rêvent que de rejoindre la ville – et les prémices de la société de loisirs et de consommation qui s’y dessinent – pour ne pas revivre la vie dure et laborieuse de leurs parents. Un polar habile, tendu et touchant, magnifié par un casting quatre étoiles, dont on retiendra aussi la belle présence des quasi débutants Bernard Le Coq et Miou-Miou.

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Le blu-ray : Le film est présenté dans un nouveau Master restauré 4K à partir du négatif image et du négatif son français par StudioCanal avec la participation du CNC. Il est proposé en version originale française (2.0). Des sous-titres français et français pour malentendants sont également disponibles.

Côté bonus, la collection « La séance » propose un formidable concept : celui de reproduire les conditions d’une véritable séance d’époque. En mode « Séance complète », le film sera ainsi précédé des authentiques actualités Pathé de la semaine de sortie du film ainsi que de publicités et bandes-annonces d’époque, le tout en HD. En mode film seul, « Les granges brûlées » se lancera directement. Le documentaire « A propos d’un film » (1973) qui narre les difficultés du tournage vient compléter avantageusement cette belle édition.

Édité par Coin de Mire Cinéma, « Les granges brûlées » est disponible depuis le 9 avril 2021 dans une très belle édition Digibook, limité à 3000 exemplaires numérotés, comprenant le blu-ray + le DVD du film ainsi qu’un livret reproduisant  des documents d’époque (24 pages), 10 reproductions de photos d’exploitation (15,5 x 11,5 cm) et la reproduction de l’affiche d’époque (29 x 23 cm). Un très bel objet qui ravira tous les cinéphiles.

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