Cela commence par un regard fatigué et un sourire discret, qui appartiennent tous deux à Nora (Halima Benhamed, formidable révélation), une quinquagénaire habitant le quartier des Oliviers, à Marseille, loin de la “Bonne Mère” (1) et de la Canebière. Tous les jours, elle se lève aux aurores pour parcourir en bus les 30 kilomètres qui la séparent de l’aéroport de Marseille Provence. Là, elle retrouve ses collègues et prend son service de femme de ménage pour une compagnie aérienne. Elle passe l’aspirateur, s’assure que les brochures et les consignes de sécurité sont bien rangées dans les pochettes des sièges, nettoie les compartiments à bagages pour que les avions soient prêts à partir, en route pour des destinations dont elle ne peut que rêver. Même en cumulant son salaire avec celui de son deuxième emploi journalier – aide de vie d’une personne âgée pour qui elle fait les courses, le ménage et la cuisine – elle n’aurait pas les moyens de s’offrir un voyage en avion. Tout son salaire sert à entretenir la smala qui habite dans son appartement : sa fille Sabah (Sabrina Benhamed), qui est au chômage et avec une petite fille de quatre ans à charge, son fils cadet Amir, un adulescent qui semble plus enclin à grignoter et jouer à la console qu’à étudier, sa belle-fille et son petit-fils, qu’elle héberge pendant que son fils aîné, Ellyes est en prison pour une bêtise de jeunesse. Ses maigres économies, elle les met de côté pour payer l’avocate qui essaie de le faire sortir de là. Elle ferait tout pour protéger les siens, malgré leur ingratitude, leur comportement capricieux, leurs mauvais penchants. Et elle essaie vaille que vaille de leur inculquer ses valeurs : le travail, l’honnêteté, le respect, la compassion… Des idéaux difficiles à défendre dans ce milieu assez défavorisé, où l’ascenseur – et l’ascenseur social – est toujours en panne. Ici, les perspectives d’avenir sont rares et peu rémunératrices, sauf à envisager des activités plus louches, comme la délinquance, le trafic de drogue, la prostitution ou des jobs qui y sont assimilés, comme le service d’escorts sado-masochistes auquel participent deux copines de Sabah.
Nora, elle, reste constamment fidèle à ses principes. Elle n’est qu’abnégation, courage et générosité.
Hafsia Herzi dresse un très beau portrait de femme, plein de tendresse et d’humanité. Nora est une mère-modèle, aimante et protectrice, qui laisse une certaine liberté à ses enfants, mais sait être sévère quand il faut. C’est une grand-mère-modèle qui transmet son savoir et son savoir-faire à ses petits-enfants. C’est aussi une travailleuse-modèle, qui ne rechigne pas à la tâche et illumine autant la vie de ses collègues, à qui elle concocte de bons petits plats, que celle de la vieille dame à qui elle tient compagnie chaque jour. En bref, une femme formidable, incarnée avec ce subtil alliage de force et de fragilité par Halima Benhamed dont la douceur illumine chaque plan.
Elle aurait sans doute pu remporter le prix d’interprétation de la section Un Certain Regard (2), mais le jury a préféré attribuer au film un “prix d’ensemble”. Une belle façon de récompenser le travail de toute une équipe, une belle aventure humaine et un long-métrage qui vante justement l’idée de communauté, de famille – celle de sang et celle de cœur – de solidarité. Il est vrai que, si le film réussit à ce point à toucher le spectateur, c’est aussi grâce à Sabrina et Maria Benhamed, Justine Grégory, Saaphyra, Anissa Boubekeur, Jawed Hannachi Herzi, Malik Bouchenaf, Mourad Tahar Boussatha, ou encore Waga Kodjinon Marthe Lobé, dont la reprise de « Elle imagine » (3), a cappella, donne illico au récit sa tonalité poétique et sensible.
Et bien sûr, c’est avant tout la réussite de Hafsia Herzi, qui affirme avec cette seconde réalisation un vrai talent de mise en scène. Certes, la jeune femme a été à bonne école auprès d’Abdellatif Kechiche, Sylvie Verheyde, Raja Amari ou Hiam Abbass, mais il y a, dans cette façon de filmer les êtres et les lieux, un véritable regard d’auteure, une patte singulière, très personnelle.
On sent que cette histoire lui est chère. À travers Nora, c’est à sa propre mère qu’elle rend hommage. Comme Sabah, Hafsia Herzi est une enfant des Oliviers. Elle a grandi dans les quartiers nord, s’y est forgé une carapace, y a affirmé cette personnalité attachante qui a fait d’elle non seulement une excellente actrice, mais également une jeune réalisatrice pleine de promesses.
Son film lui ressemble : charmant, lumineux, généreux, plein de caractère et d’optimisme et vibrant d’humanité.
(1) : La “Bonne Mère” désigne la basilique Notre-Dame-de-la-Garde, qui surplombe Marseille. Celle du titre désigne aussi, bien sûr, le personnage principal.
(2) : Cette section parallèle officielle du Festival de Cannes remet généralement le prix Un Certain Regard, plus un certain nombre de prix décidés au bon vouloir du jury. L’un d’eux récompense généralement une performance d’acteur, d’actrice ou de groupe.
(3) : “Elle imagine”, chanson du groupe Nacash – 1987
Bonne mère
Bonne mère
Réalisatrice : Hafsia Herzi
Avec : Halima Benhamed, Sabrina Benhamed, Maria Benhamed, Justine Grégory, Saaphyra, Anissa Boubekeur, Jawed Hannachi Herzi, Malik Bouchenaf, Mourad Tahar Boussatha, Waga Kodjinon Marthe Lobé
Origine : France
Genre : chronique sociale généreuse et humaniste
Durée : 1h36
Date de sortie France : 21/07/2021
Contrepoints critiques :
”Comme Soria Zeroual dans Fatima , de Philippe Faucon, film aux trois César, l’actrice non professionnelle Halima Benhamed crève l’écran dans le rôle de la bonne mère.”
(Nathalie Chifflet – Dernières Nouvelles d’Alsace)
”Sans échapper à une certaine lourdeur démonstrative, Bonne mère produit du moins une tension intéressante par cette construction en miroir qui oppose l’inébranlable Nora à ses enfants, tous plus ou moins perdus (…) Rien qui ne permette d’échapper à la banalité d’un récit en forme d’hagiographie.”
(Hugo Mattias – Critikat)
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