Politiquement parlant, cela correspond à la fin du septennat de Valéry Giscard d’Estaing et à l’ère de la guerre froide avec les soviétiques. Cinématographiquement parlant, c’est l’ère de Belmondo en flic, en voyou ou en professionnel, et l’apogée des James Bond de Roger Moore (De L’espion qui m’aimait à Octopussy). Le prologue de ce troisième épisode met donc l’espion français, toujours incarné par Jean Dujardin, aux prises avec les soviétiques en Afghanistan – dont une armoire à glace évoquant Jaws, l’antagoniste préféré de 007, incarné par Richard Kiel – avant qu’il ne s’échappe en faisant tout sauter en plongeant – tactacbadaboum – dans un hélico piloté par une jolie espionne américaine. Et le générique, dont le visuel évoque les arabesques de Maurice Binder et les musiques de John Barry, nous conforte dans l’idée que le film est entre les mains d’une équipe décidée à livrer une parodie esthétiquement soignée, comme l’étaient les deux opus précédents.
Le scénario, lui, joue sur l’opposition d’un Hubert Bonisseur de la Bath vieillissant et d’un jeune chien fou des services secrets, Serge, alias OSS 1001 (Pierre Niney). Quand ce dernier disparaît au cours d’une mission en Afrique de l’Est, en essayant de mater la révolution destinée à empêcher l’élection “démocratique” du dictateur soutenu par la France – toute ressemblance avec Jean-Bedel Bokassa est tout sauf fortuite – , c’est OSS 117 qui est dépêché sur place. On se dit alors que l’arrivée du personnage, patriote bourré de préjugés, macho et raciste, au coeur de l’Afrique noire, va équivaloir à l’irruption d’un éléphant dans un magasin de porcelaine et provoquer bon nombre de situations embarrassantes mais potentiellement hilarantes. Mais très vite, on doit constater que l’humour du film ne fonctionne pas, les rires de la salle étant rares et peu soutenus. Le personnage principal reste relativement sage, car briefé pour ne pas faire de vague, les Africains étant particulièrement sensibles aux insultes à connotation raciste et aux comportements hérités du colonialisme. Les dialogues manquent de férocité. L’énergie destructrice du personnage est, à l’image de sa virilité, déclinante. Et l’opposition avec son jeune collègue tourne vite au combat de coqs redondant.
Si la parodie de films d’espionnage reste assez plaisante et permet de conserver un tempo assez vif, la partie comique est malheureusement ratée.
Cependant, ce ratage – sans doute involontaire – est presque ce qui fait l’intérêt du film. Car Alerte rouge en Afrique noire devient une sorte de démonstration des ravages du “politiquement correct” en matière d’humour. Tourné à l’ère de #MeToo, #BlackLivesMatter et autres hashtags prompts à enflammer les réseaux sociaux, le film de Nicolas Bedos semble constamment prendre des gants pour ne pas froisser l’auditoire, quand bien même son personnage principal est clairement moqué pour ses préjugés racistes et sexiste. Il reste toujours dans la retenue, évitant les blagues trop osées, les mots trop durs, craignant que le public n’ait pas suffisamment de second degré, de dérision ou d’autodérision pour encaisser. Du coup, les rares tentatives de provocation ressemblent à des pétards mouillés et le film reste bien fade, assez ennuyeux.
Le contraste est d’autant plus grand qu’il se déroule au début des années 1980, où l’humour était bien plus libre et sauvage qu’aujourd’hui. C’est l’époque de Hara Kiri, le mensuel “bête et méchant”, l’apogée de Coluche en tant qu’humoriste qui, lui, ne prenait pas de gants – sauf pour jouer du violon – pour parler de ses concitoyens, quelle que soit leur couleur de peau, celle du Collaro Show, ses pin-up et son humour provocateur, ou celle de Desproges et de Bedos père, plumes corrosives, d’une drôlerie folle. S’il avait été tourné à cette époque, ce volet d’OSS 117 aurait probablement été beaucoup plus drôle et plus efficace dans sa volonté – fort louable – de combattre les préjugés racistes et sexistes.
En fait, le déroulement du scénario épouse parfaitement ce constat : A trop de bonnes intentions forcées, en essayant de rester neutre et politiquement correct, on favorise finalement tout ce que l’on entendait combattre.
Presque des proverbes africains pleins de sagesse. A méditer en vue d’un hypothétique quatrième épisode…
Ou alors, c’est que votre serviteur, comme Hubert Bonisseur de la Bath, est trop en décalage avec l’époque moderne. Peut-être que cet humour policé séduira davantage les jeunes spectateurs ou les plus vieux, nostalgiques d’un comique moins provocateur. Pour ceux qui, comme moi, sont entre deux âges, comme le chantait Brassens, c’est moins évident…
Accessoirement, le film illustre aussi cet autre constat : à force de trop pester contre un ancien temps “rance” et “ringard”, on finit par se couper les pattes.
A méditer aussi…
[Film de clôture – Cannes 2021]
OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire
OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire
Réalisateur : Nicolas Bedos
Avec : Jean Dujardin, Pierre Niney, Fatou N’Diaye, Natacha Lindinger, Wladimir Yordanoff, Pol White, Gilles Cohen, Habib Dembélé, Ivan Franek
Origine : France
Genre : Comédie raté, mais essai sociologique réussi
Durée : 1h56
Date de sortie France : 04/08/2021
Contrepoints critiques :
”Avec son mauvais esprit et son sens très sûr de l’humour noir, OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire remplit son contrat et honore un genre, la comédie populaire, souvent maltraité par les cyniques et plébiscité par le public. Un « genre de films » qui fait assurément du bien.”
(Olivier De Bruyn – Marianne)
”Moins vif, moins drôle, moins inventif… OSS 117 : Alerte rouge en Afrique est inférieur en tout point aux précédents opus, les surpassant dans un seul domaine : le malaise ; Nicolas Bedos ne réussissant jamais à gérer le politiquement incorrect de l’espion avec malice et lucidité.”
(Alexandre Janowiak – Ecran large)
Crédits photos : Copyright Christophe Brachet – MANDARIN PRODUCTION – GAUMONT – M6 FILMS – SCOPE PICTURES