L'objectif ou désir du personnage principal n'est pas ce qui nous fascine le plus chez ce personnage car le voir changer en un être habituellement meilleur est bien plus intéressant. C'est d'autant plus vrai par l'effet de l'identification avec ce qu'il arrive à ce personnage et les sentiments & sensations par lesquels il passe.
Néanmoins, nous rappelle Michael Hauge, si l'auteur ou l'autrice n'établit pas clairement dès le premier acte ce que sera cet objectif extérieur au personnage (car le changement est interne), il manquera quelque chose au récit pour qu'il fonctionne correctement.
Les motivations du héros
Que le personnage ait changé au moment du dénouement est certainement l'un des problèmes mis en avant par l'histoire. Mais ce changement n'est souvent pas motivé. Il est possible que le personnage principal ait conscience d'un malaise et qu'il aspire à autre chose que ce qu'il est maintenant, mais conscience ou pas, il n'est pas motivé à aller dans ce sens car ce changement (qu'il soit radical ou un renforcement des convictions ou des croyances) n'est pas voulu par le personnage.
Il faut quelque chose d'extérieur à lui qui le motive. Considérons une revanche. Un antagoniste a blessé ou le personnage principal ou bien quelqu'un d'autre apprécié du personnage principal, alors ce personnage principal sera motivé à réparer l'injustice causée. Dans l'action, il y a une volonté.
Cette volonté se manifeste au vu et su de tout un chacun (personnages, lecteurs et lectrices) et elle sera dirigée vers un objectif dont on ne saura qu'au dénouement s'il est atteint ou non. Cet objectif constitue la question dramatique qui fait battre le cœur du récit : le héros ou l'héroïne réussiront-ils ce qu'ils veulent obtenir avec tant d'acharnement ?
Acharnement est effectivement le terme adéquat car le personnage principal est arc-bouté sur la réussite de ce désir qu'il poursuit. Si on prend un peu de distance, on aperçoit néanmoins la vanité de cette action. Ce qui importe, dit Michael Hauge, c'est cet Inner Journey, c'est-à-dire cette trajectoire intime, psychologique parfois accompagnée de stigmates, que le personnage principal subit.
Auteurs et autrices ont quelque chose à dire en contant leur fiction. L' Inner Journey porte ce message. Face à un récit, face à un auteur ou une autrice, il est naturel d'accepter le discours. Une fiction englobe habituellement quelques thèmes (ce qui l'enrichit) mais il ressort toujours un thème majeur, qui importe à l'auteur et ce thème singulier est alors expliqué dans la description de ce parcours personnel du héros ou de l'héroïne à travers toute l'histoire et dont la conséquence est essentiellement une prise de conscience.
Les intrications de l'intrigue
Ce changement ne se produit pas ex nihilo. Le personnage se perd dans l'intrication des événements dont la plupart sont la conséquence de ses propres décisions. D'où l'importance du contexte que Michael Hauge interprète comme les prémisses du récit.
C'est un exercice difficile que de complexifier un récit. Avoir une idée comme celle d'un père voulant récupérer la garde de ses enfants après la mort de sa femme est, en soi, une belle idée. Mais ce contexte s'avérera insuffisant si vous n'y ajoutez pas des complications comme dans Inception.
Et l'objectif devient d'implanter dans le subconscient d'un sujet, sous la forme du rêve, une idée qui l'incitera à modifier son comportement. Cet objectif est annoncé très tôt dans le récit et toute l'action se construit d'après cet objectif. En quelques lignes de dialogue, en deux ou trois pages, l'objectif est établi.
C'est ainsi que la théorie et pratique narrative Dramatica met en place ce qu'elle nomme l' Objective Story Throughline. Cette ligne dramatique représente l'argument impartial de l'histoire (c'est-à-dire hors de tout point de vue subjectif), mettant l'accent sur les événements et les relations d'une manière purement (Dramatica insiste sur cette notion de causalité aperçue par un observcateur des faits, non impliqués dans ceux-ci) de cause à effet.
Cela ne veut pas dire que cette ligne dramatique n'a rien à voir avec le sens de l'histoire, mais seulement qu'elle n'est pas toute l'histoire. Tous les personnages acquièrent la même image de ce qu'est la réalisation de l'objectif.
L'embarras de poser un objectif commun vient du fait que les auteurs et les autrices sont tellement pris par leur personnage, à le fouiller psychologiquement, à lui donner de la profondeur pour le rendre encore plus consistant qu'ils en oublient de lui fixer un objectif qui, telle une force centripète, concentrera tous les personnages sur cette obtention, certains voulant aider et d'autres obstruant le chemin.
Pour Jennifer Grisanti, par définition, le héros ou l'héroïne sont proactifs. Ils agissent selon un but. Afin de comprendre pourquoi ils font ce qu'ils font, un désir doit être clairement établi dès le début. Si vous planifiez les événements de votre intrigue, commencez par vous demander ce que veut votre héros dans cette histoire.
Parmi ces tous premiers événements, il y en un que nous pouvons identifier comme incident déclencheur. A la suite de celui-ci, le personnage principal est jeté dans un dilemme. Ce ne sera pas insignifiant, facilement écarté d'un revers de la main.
Au contraire, ce sera quelque chose de suffisamment puissant afin de bouleverser le personnage qui devra alors prendre une décision et de se forger une volonté afin de diminuer ou d'annihiler l'angoisse qu'à créé cet événement inattendu dans le quotidien de sa vie actuelle.
Cela fonctionne quel que soit le genre. Un ou une célibataire endurci(e) fera la rencontre d'une personne qui fera soudain germer en lui ou en elle l'idée que ce célibat dont l'habitude avait si bien huilé les rouages est peut-être vain en fin de compte.
A partir de cette rencontre, les dites habitudes sont bouleversées et le personnage se remet en cause. Il hésite d'abord car le doute est douloureux. Puis il s'engagera dans la conquête d'un amour mais il le fera maladroitement car il doit vaincre un à un des obstacles qu'il ou elle ne connaissent pas.
A la fin de l'acte Un, le passage dans l'acte Deux constitue cet engagement, c'est-à-dire que le héros s'est donné un objectif.
Le choix
Le personnage principal fait le choix de s'engager dans son aventure. Lorsque Frank Galvin dans Le Verdict décide à la fin de l'acte Un de refuser l'arrangement et de mener le procès, son objectif devient de gagner ce procès. Toute l'histoire s'organise alors autour de cette question dramatique : Frank réussira t-il ?
Notez qu'il s'agit d'un objectif externe et que chaque obstacle qui sera jeté sur son chemin vise cet objectif. C'est ainsi, rappelle Jen Grisanti, que si l'objectif, le but à atteindre, n'est pas spécifiquement compris, cela jettera de la confusion dans l'esprit du lecteur/spectateur qui ne saura pas interpréter ou lier les obstacles à l'objectif.
Votre personnage a un rendez-vous important et il ne retrouve pas les clefs de sa voiture. Cet obstacle ne peut être légitime dans le récit s'il n'est pas corrélé au rendez-vous qui impose un compte à rebours, donc de la tension dramatique, sur les conséquences d'un rendez-vous manqué.
Le personnage principal peut changer d'objectif en cours de route s'il s'avère que celui qu'il poursuivait d'abord était une erreur. Ce qu'il faut éviter, c'est qu'il se retrouve perdu comme s'il ne savait plus où se diriger.
En définissant le désir, vous savez déjà que les difficultés seront conçues pour contrer ce désir singulier. Et vous vous rendrez compte aussi que ce désir n'est qu'un moyen pour retenir l'attention du lecteur/spectateur. C'est l'outil dans la main de l'artisan. La création est dans le discours. Le message que vous véhiculez est celui que traduit le changement du personnage.
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