Bac Nord (2021) de Cédric Jimenez

Par Seleniecinema @SelenieCinema

4ème film de Cédric Jimenez après "Aux Yeux de Tous" (2012), (2014) et (2017), et il retrouve Marseille après "La French" mais cette fois en s'inspirant d'une actualité contemporaine encore brûlante. En effet, le cinéaste s'intéresse fortement au scandale des ripoux de la BAC Nord qui a éclaté en 2012 et dont l'affaire est toujours en cours ; pour faire court, des policiers accusés de trafic de stupéfiants et rackets, suite à quoi le service a été dissous. Précisons que le réalisateur-scénariste a lui-même grandi dans les quartiers Nord de Marseille, et qu'il a pu rencontrer les policiers qui sont au coeur de l'affaire : "Le show médiatique était tel que j'ai ressenti le besoin de savoir ce qu'il s'était passé. A quel point ces flics avaient-ils pu franchir la ligne jaune ? Mais pour cela, il fallait avoir accès aux policiers, au dossier. Ce qui était évidemment impossible. Quand on a décidé de travailler ensemble, avec Hugo Sélignac, mon producteur, j'avais toujours en tête cette affaire. C'est là qu'il me dit "Attends, je connais quelqu'un à Marseille qui pourrait nous présenter les vrais flics de l'affaire". Et c'est ce qui s'est passé. J'ai pu rencontrer toute la BAC Nord de l'époque, m'entretenir avec ces hommes. (...) Quand le procureur a abandonné les charges principales, il n'y a pas eu un mot dans les médias alors que leur arrestation avait fait la une pendant plusieurs jours. Du coup, ils étaient heureux d'être écoutés et de raconter comment ils en étaient arrivés là. Ils ont fait des conneries, c'est indiscutable, mais l'ampleur médiatique que ça a pris était disproportionnée". Ces policiers ont par ailleurs été conseillers techniques sur le film assistant l'équipe technique et les acteurs. Cédric Jimenez a écrit le scénario avec son épouse et co-scénariste de tous ses films Audrey Diwan...

2012, les quartiers Nord de Marseille détiennent le record du pire taux de criminalité de France. Sous la pression de la hiérarchie, les policiers de la BAC Nord décident de modifier leurs méthodes pour obtenir des résultats plus probants jusqu'à franchir la ligne jaune de l'éthique. Mais un jour le système judiciaire se retourne contre eux... Ces policiers de la BAC Nord sont incarnés par Gilles Lellouche qui retrouve Jimenez après "La French" et "HHhH", François Civil qu'on retrouve après une année faste pré-Covid avec notamment et surtout le magnifique "Le Chant du Loup" (2019) de Antonin Baudry, Karim Leklou qu'on avait pas vu depuis "Joueurs" (2018) de Marie Monge, Cyril Lecomte habitué des polars notamment chez Frédéric Schoendoerffer avec "Truands" (2007), "Switch" (2011) et (2014) et qui retrouve Lellouche et Jimenez après "La French", Mickaël Abiteboul qui retrouve François Civil après "20 ans d'Ecart" (2013) de David Moreau puis qu'on a vu dans d'autres uniformes dans "Les Hommes du Feu" (2017) de Pierre Jolivet et "L'Intervention" (2019) de Fred Grivois, puis Jean-Yves Berteloot acteur fétiche de René Féret qui retrouve aussi François Civil après "Le Chant du Loup". Citons aussi et surtout Adèle Exarchopoulos vu récemment dans "Mandibules" (2021) de Quentin Dupieux et qui retrouve Karim Leklou après "Les Anarchistes" (2015) de Elie Wajeman et (2017) de Arnaud des Pallières. Puis enfin n'oublions pas les jeunes Kenza Fortas et Idir Azougli qui se retrouvent après avoir été les révélations du film "Shéhérazade" (2018) de Jean-Bernard Marlin... Forcément, vu le contexte "cité+flics", associé à un style immersif et réaliste on ne peut que penser au film phénomène "Les Misérables" (2019) de Ladj Ly, à la différence près que Ladj Ly serait du côté "cité" tandis que Jimenez serait du côté "flics". Pourtant rappelons-nous que Ladj Ly avait évité (de justesse mais tout de même) tout manichéïsme, Jimenez n'est pas franchement dans cette optique puisqu'il ne juge pas du tout les cités et leurs composants mais place les flics dos à dos, ou plutôt il place les flics dos à leur institution, à leur société, et surtout à leur hiérarchie. Et quand on entend flics ici c'est uniquement flics de terrain ! Sur ce point le réalisateur-scénariste est donc au bon endroit au bon moment dirons-nous. Se servant d'une histoire vraie sans en raconter les faits réels il en prend toute l'essence pour faire ressurgir tous les maux et l'esprit d'un groupe de policiers qui vivent la réalité du terrain.

Le point fort néanmoins est aussi de pointer du doigt les travers, les petits trucs qui font que ces policiers ont franchi une ligne jaune bien avant l'affaire principale par laquelle tout dérape. Jimenez rentre dedans et ce n'est pas pour déplaire et finalement, en montrant aussi des policiers qui n'ont pas su tenir la ligne blanche il évite aussi d'être trop complaisant et sans les condamné il ne l'est légitime pas non plus, préférant choisir de taper sur les "vrais" fautifs : les politiques et la hiérarchie. Le scénario a l'avantage de rester simple, en scindant pour ainsi dire le récit en trois parties : le quotidien, quelques affaires "classiques" pour montrer le désarroi professionnel et ses conséquences, puis la "grosse affaire", de la préparation jusqu'à l'issue avant de terminer par le couperet, de la garde à vue jusqu'à son dernier acte puisque certains pans de l'affaire sont encore en cours. Le quotidien est plutôt bien rendu sans pour autant révolutionner le genre ou l'approche du genre mais montre bien que le boulot de flic aujourd'hui sont des coups d'épée dans l'eau. La grosse partie avec l'opération dans la cité est dantesque et peut se rapprocher de la partie similaire de "Les Misérables", la montée en pression et l'action sont menées avec brio avec une fois de plus cette sensation de ne rien pouvoir faire puisque les policiers ont aucun droit de riposte face à la population qui gère et mène la cité. Le dernier acte est donc celui de la guillotine, où les policiers sont bien désarmés face à la loi qui donne un pouvoir inouï aux caïds des cités, des policiers qui sont les boucs émissaires de tout un système et ce, même si ils ont leurs torts. Rappelons que ce film est une fiction ! Mais que Jimenez a ponctionné les éléments qui lui permettait de se focaliser sur uniquement trois flics pour rester sur l'essentiel. Moins dense et moins flamboyant que "Les Misérables" (film parisien) il est un pendant qui vaut tout de même le détour. Prenant, juste en terme de vision, il a aussi la valeur ajouté de mettre en avant des "simples flics de terrain" ce qui demeure assez rare. Pour rappel voir ici les meilleurs films sur la réalité du travail de policier. Jimenez signe donc un polar musclé mais à hauteur d'hommes, réaliste en tentant de remettre les choses à leur place. En prime un trio d'acteurs impeccables, on sent une belle osmose qui donne du crédit à l'esprit de corps. Un bon moment ciné à défaut d'être une solution pour le quotidien de flics.