The Manxman (1928) de Alfred Hitchcock

Par Seleniecinema @SelenieCinema

Enième adaptation littéraire pour Alfred Hitchcock mais surtout, ce film clôt pour ainsi dire sa première partie de carrière, la partie "Muet" avec ce neuvième film et ultime film Muet pour lequel il retrouve aussi pour la 9ème fois et ultime fois son scénariste Eliot Stannard avec qui il a débuté avec son premier long "officiel" "Le Jardin du Plaisir" (1925). Le film est aussi marqué par l'accouchement de son épouse et collaboratrice Alma Reville de leur unique petite fille. our ce projet, le cinéaste britannique porte à l'écran le roman éponyme (1894) de sir Hall Caine qui avait déjà connu un premier passage sur grand écran avec le film éponyme (1917) de George Loane Tucker. Avec cette histoire, "The Manxman" veut signifie "L'Homme de l'île de Man", Hitchcock aborde une nouvelle fois le sujet du triangle amoureux après "The Lodger" (1927) et "The Ring" (1927) ce qui lui porte plutôt chance...

Sur l'île de Man, Pete et Philip sont deux amis de conditions sociales différentes qui sont amoureux de la même femme, Kate la fille de l'aubergiste. Pete, marin pêcheur est le premier à oser demander Kate en mariage mais l'aubergiste trouve que sa situation n'est pas assez digne pour sa fille, Pete décide alors de partir aller chercher fortune, non sans avoir la promesse de Kate d'attendre son retour. Quand on apprend la mort de Pete, Kate se rapproche naturellement de Philip devenu le juge de l'île et bientôt elle devient enceinte. Mais Pete est de retour, l'annonce de sa mort était une erreur, Kate se sent obliger de tenir sa promesse tandis que Philip cède sa place sans que Pete ne se doute de quoi que ce soit. Mais très vite Kate ne supporte plus la situation malgré un bébé que tous croit de Pete, à tel point qu'elle tente de se suicider mais sauvée, elle doit comparaître au tribunal, le suicide étant un crime... Kate est incarnée par Anny Ondra, première "blonde hitchcockienne", qui retrouvera le réalisateur sur "Chantage !" (1929) avant de continuer sa carrière hors pays anglo-saxon car son accent tchécoslovaque nuit à sa carrière à l'avènement du parlant. Le marin-pêcheur est joué par Carl Brisson, champion de boxe du Danemark qui retrouve Hitchcock après "The Ring" (1927) et qui tournera encore quelques films comme "Sa Majesté s'amuse" (1935), puis le juge est interprété par Malcolm Keen qui retrouve également le réalisateur après "The Moutain Eagle" (1926) et "The Lodger" (1927). Citons ensuite Randle Ayrton qui débuta dans un film du scénariste Eliot Stannard "Profit and the Loss" (1917) et qui retrouve sa partenaire Anny Ondra après "Glorious Youth" (1982) de Graham Cutts, puis Clare Greet qui retrouve Hitchcock après avoir tourné pour lui dans "Number 13" (1922) qui devait être son premier long métrage en solo mais qui restera inachevé, mais qui retrouvera encore le cinéaste pour "Agent Secret" (1936) et "La Taverne de la Jamaïque" (1939)... Pour des raisons de budget le film n'a pas été tourné à l'île de Man mais en Cornouailles. Le réalisateur en profite pour placer dans son montage des images documentaires sur les pêcheurs, ajouté à une photographie soignée (surtout pour les extérieurs) le film est doté d'un charme certain qui peut paraître suranné sur plusieurs côtés comme la question du mariage et la question centrale du suicide criminalisé. Pour l'anecdote, le film sera diffusé en 2015 au Festival Interceltique de Lorient dont les invités d'honneur étaient les Cornouailles et l'île de Man.

L'histoire place le film non pas dans le genre policier mais bien dans le mélo, où les convenances pèsent lourds, les commérages aussi, que la position insulaire aggrave forcément, mais c'est une promesse qu'on croyait caduque qui plonge les protagonistes dans le drame. L'amitié se fracasse contre les aléas du destin, la fidélité en amour vaut-elle plus que la loyauté d'une amitié ?! Le plus intéressant est que tout est question de destin et de coïncidence malheureuse, il n'y a ni méchant ni trahison les protagonistes seraient même bien sous tous rapports sur le fond, ils n'agissent pas de façon condamnable, seule la morale de l'époque réprouve une femme à qui le destin refuse le bonheur. Hitchcock y reviendra d'ailleurs dans son film "Les Amants du Capricorne" (1948) mais avec une fin diamétralement différente. Le réalisateur fait montre d'une rare tendresse dans ce film, le juge est touchant quand il sait qu'il va devoir s'effacer, la femme se retrouve à la merci d'une amitié virile, et on ne peut qu'admirer la subtilité de Hitchcock pour contourner (il va en faire sa spécialité !) la censure en nous faisant comprendre qu'elle est enceinte sans jamais l'évoquer ou le montrer. Par contre, on constate que certains seconds rôles sont sans doute trop sous-exploités, on pense surtout au père de la jeune femme dont l'intolérance et les préjugés ont justement poussé Pete à quitter l'île pour chercher fortune. Avec ce film le cinéaste prouve qu'il sait aussi se poser avec quelques plans presque contemplatifs (côte, pêcheur) et une réelle empathie pour ses personnages. A noter que le film est un des rares où le réalisateur ne fait pas de caméo. Si le film a déçu le producteur qui repoussera la srtie en salles, le public le démentira avec un joli succès au box-office et un accueil critique très bon. Ce n'est sans doute pas son film le plus personnel, mais cela reste un mélo d'un réalisme touchant.