Sortie nationale le 25 août 2021
Durant la séquence d’ouverture, « Toi, t’es un fragile » profère Raphaël (Raphaël Quenard) à Azzedine (Yasin Houicha) pour marquer une distinction, construite sur la notion de romantisme, entre les hommes « robuste[s] et viril[s] » et le protagoniste. Prenant la raillerie à cœur et à corps, le premier long-métrage d’Emma Benestan aspire à la singularité en créant un personnage masculin sensible. Alors qu’il s’apprête à demander en mariage sa petite amie Jessica (Tiphaine Daviot) avec une bague dissimulée dans une huître, la cinéaste peint avec les lumières et la bonhommie sétoises un écrin romanesque. Jouant avec les codes de la rom-com, Fragile éteint doucettement la flamme de leur relation : la sublime golden hour se dissout dans la nuit, la bague manque d’étouffer la jeune femme, un quiproquo amène un break. Dévasté, « Az » calque le comportement des femmes des comédies romantiques, pleurant notamment devant Bodyguard (Mick Jackson, 1992) couvert de papiers de Ferrero Rocher. Face à sa tristesse, il se heurte aux représentations machistes (« Est-ce que je peux chialer tranquillement, s’il-vous-plait ? » revendique-t-il à ses amis) et aux stéréotypes des ruptures hétérosexuelles (sa mère étant persuadée qu’il a été quitté pour cause de tromperie ou d’ « humiliation »).
Son prévisible chemin de croix pour reconquérir Jessica suit aussi cette inversion des codes sexués des rom-coms. Après un relooking dans une friperie, Azzedine se lance sous la direction de Lila (Oulaya Amamra) dans la danse – convertissant une pratique dite « féminine » en arme de séduction. Au discours d’Emma Benestan sur la sentimentalité et la masculinité, se superpose alors une candide réflexion genrée sur le corps. Face à cette nouvelle forme de virilité décomplexée, Fragile dresse des personnages de femmes fortes sur plusieurs générations, de la charismatique Lila à la moderne grand-mère d’ « Az », balayant les idées de mariage. Elles affirment, à l’instar de Lila, une féminité autosuffisante qui n’attend plus le secours des hommes. Tandis que le rapprochement attendu entre Azzedine et Lila s’opère sous le soleil sétois, le long-métrage s’attache à ces jeunes adultes désillusionnés. Surplombant une ville endormie et scintillante, ils partagent une mélancolie face à leurs rêves non-réalisés (une relation, une vie ailleurs). « Pourquoi tu es revenue ? » / « Et toi, pourquoi tu es resté ? », la réponse à ces questions lancées dans la nuit ne réside que dans le courage de croire à un autre possible social. En filigrane, Fragile se pare d’une légère dimension sociale imitant la verticalité de la société sétoise allant des ouvriers au niveau de la mer aux fêtes mondaines données dans les hauteurs de la ville.
La potentialité d’une ascension sociale s’illustre par le personnage de Jessica, ancienne ostréicultrice devenue actrice d’une série policière à succès, Crime à la mer. À travers le personnage d’Azzedine, elle permet une confrontation entre une sincérité méditerranéenne et une hypocrisie déguisée attachée à la fois au show-biz et à Paris. Or, Fragile utilise de concert deux types de clichés : le délibéré pastiche ridicule de la série policière ; la non-intentionnelle caricature des classes populaires. Emma Benestan assemble maladroitement des poncifs écumés par le cinéma français pour créer ses racailles (pour reprendre l’injure d’Azzedine). Ils sont des purs produits comiques n’existant que pour être des boîtes à punchlines sans âme. Interchangeables, ils proposent un registre unique de comédie, finalement devenu classiste, sur la perméabilité de la langue française (décoincée et rendue vivante par les parlers populaires) popularisée à la fin des années 1990 par des figures comme Jamel Debbouze. Le problème de Fragile est de chercher à contourner des schémas que l’œuvre suit in fine aveuglement. Une fois évaporé, le premier long-métrage d’Emma Benestan reste une comédie romantique inoffensive gratifiée des performances solaires de Yasin Houicha et Oulaya Amamra.
Le Cinéma du Spectateur
☆ – Mauvais