Le cinéaste nous entraîne dans le sillage de France De Meurs (Léa Seydoux), une journaliste et animatrice de télévision, star d’une de ces chaînes d’info-spectacle comme i-télé ou BFM TV. Son quotidien est d’aller tourner des reportages de terrain où, sous couvert de montrer la misère du monde, elle ne fait que se mettre en scène, soignant sa réputation et sa côte de popularité, sans une once d’intérêt pour ceux qu’elle interviewe, simples figurants de son show médiatique. Autour d’elle gravitent des chroniqueurs ou pseudo-experts tout aussi factice qu’elle, pantins ridicules qui se posent en grands penseurs mais qui ne font qu’asséner des banalités et du verbiage sans intérêt.
France est, disons-le, un film assez agaçant. Mais comment pourrait-il en être autrement avec des personnages aussi antipathiques et méprisables ? Le personnage principal passe son temps à minauder, plus préoccupée par sa coiffure que par le sort des pauvres gens qu’elle interviewe sur le terrain, ou à pleurnicher sur sa morne vie bourgeoise et sa triste condition de célébrité adulée. On a plus envie de la secouer que de l’enlacer… Son assistante (Blanche Gardin), vulgaire et constamment speedée, ne vaut guère mieux, avec son obsession du “buzz” et de l’image sur les réseaux sociaux. Elle ne fait qu’encourager France à être superficielle et narcissique. Le mari de France (Benjamin Biolay) est un écrivain snobinard qui a du mal à accepter de vivre à ses crochets et son fils un enfant gâté qui mériterait de se faire casser la gueule à la récré par le p’tit Quinquin, ancien héros de Dumont. Ici, même les personnages issus des classes plus modestes sont détestables, comme ces sans-abris qui insultent la journaliste lors de l’une de ses rares actions désintéressée du récit, ou grotesques, comme les proches du garçon victime d’un accident de la circulation causé par France, qui restent béats d’admiration devant cette vedette du petit écran qui vient chez eux en chair et en os. Impossible de s’attacher à un seul de ces personnages. Donc impossible de s’identifier à eux et d’adhérer facilement à cette histoire.
France n’est pas non plus un film aimable. Mais comment pourrait-il l’être puisqu’il s’inscrit totalement dans l’air du temps et ambitionne de dresser le portrait de notre société actuelle ? L’époque est-elle aimable ? Non, vraiment pas! Le monde est constamment en proie aux conflits, à la misère. La fracture entre les « élites » et les classes populaires n’a jamais été aussi grande. Les individus sont de plus en plus égocentriques, irascibles et violents, ou alors complètement apathiques et insensibles, plongés en pleine dépression. Rien n’incite à l’optimisme : dérèglement climatique, crise économique, instabilité politique…
Donc non, France n’a rien d’aimable et ne fait rien pour…
Mais France voudrait être une œuvre corrosive, à l’humour grinçant. Et ce n’est pas le cas non plus. Pas assez. La satire des média était sans doute conçue pour être féroce et impitoyable, dénonçant les pires travers des chaînes info et des journalistes 2.0, mais en fait, Bruno Dumont enfonce des portes grandes ouvertes. Le réel dépasse largement la fiction et les chaînes d’information continue ont montré à plusieurs reprises des dérives bien pires que ce qui est dépeint dans ce film. Une chaîne similaire passe son temps à donner tribune aux pires fascistes du pays, dénigrer toute action gouvernementale avec des informations partiales et faire du buzz avec des agités du bocal, des conspirationnistes et ce que l’hexagone compte en hurluberlus forts en gueule. Que du blabla, que de tracas… A côté de ces loups furieux, les personnages de France font figure de doux agneaux.
L’humour singulier du cinéaste ne cadre pas vraiment avec cet univers froid et hautain, pas plus que celui de Blanche Gardin. Sur scène, le parler cru de l’humoriste fait souvent mouche, car elle s’applique à elle-même les horreurs qu’elle peut débiter sur les autres. Mais ici, dans la bouche d’un personnage plus antipathique qu’attachant, c’est la vulgarité qui l’emporte. Dommage, car le rire aurait pu appuyer la démonstration ou rendre le film un peu plus accessible.
Pour résumer, France est un film énervé et énervant. Mais un film énervant est un film qui stimule, qui aiguillonne. Et qui pousse à réagir, à réfléchir sur les raisons de ce rejet. Et cette réflexion n’est-elle pas ce que l’on recherche avant tout dans un film d’art & Essai ? Car France, même s’il flirte parfois avec de la mauvaise télévision pour une évidente cohérence thématique, est bien une œuvre de cinéma, dotée de quelques séquences sublimes où Dumont rappelle qu’il est un metteur en scène plutôt doué. Les cadres sont composés avec soin, les angles de prises de vue sont souvent audacieux et l’ensemble est très correctement exécuté. La direction d’acteurs est également maîtrisée, avec des performances honorables si l’on considère le faible capital sympathie des personnages.
On peut ne pas adhérer au récit, aux personnages, à l’humour ou au propos du film, mais il avait bien sa place dans la sélection cannoise 2021. France divisera forcément les spectateurs. Il n’est pas le meilleur long-métrage de son auteur, c’est certain, mais ce n’est pas le nanar que certains critiques- par solidarité journalistique, peut-être – ont entrepris de démolir, à en juger les réactions après les projections presse de l’oeuvre. Un peu de retenue, parfois, ne nuirait pas à la profession…
France
France
Réalisateur : Bruno Dumont
Avec : Léa Seydoux, Blanche Gardin, Benjamin Biolay, Emanuele Arioli, Juliane Khöler
Genre : portrait d’une femme infâme
Origine : France
Durée : 2h14
Date de sortie France : 25/08/2021
Contrepoints critiques :
”Filmer France comme un signe du vivant qui reprend ses droits à la barbe du spectacle, pleurant et respirant sous lui, c’est pour Dumont l’inclure à la cohorte de ses grands personnages mystiques. Non seulement Jeanne, mais aussi les héroïnes de Hors Satan ou d’Hadewijch, prises dans un conflit entre espace concret et immatériel qu’elles ne pouvaient espérer résoudre qu’en invoquant le ciel, en allant le chercher du regard.”
(Yal Sadat – Les Cahiers du cinéma)
”Sans une once d’humour, Bruno Dumont foire la satire, se complaît dans la laideur qu’il prétend refléter et filme sa madone télévisée, mi-Elise Lucet, mi-Léa Salamé, en bien piteuse pietà.”
(Nicolas Schäller – Le Nouvel Observateur)
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