De quoi ça parle ?
Des arcanes de la politique nationale et locale, et du combat d’une femme politique et de son bras droit pour faire valider un important plan d’urbanisme, essentiel pour donner à des habitants défavorisés un cadre de vie décent.
Clémence (Isabelle Huppert) est maire d’une ville de banlieue parisienne. Elle finit son second mandat et s’apprête à laisser sa première adjointe lui succéder. Mais avant cela, elle aimerait tenir la promesse faite à ses concitoyens les plus défavorisés : redynamiser la cité HLM de la ville, vétuste et presque insalubre, à l’aide d’un important plan d’urbanisme, intégré au projet du “Grand Paris”. Le moment est idéal : le Premier Ministre, issu de la même majorité politique qu’elle, doit prochainement réaliser un arbitrage entre les différents projets qui ont été soumis dans le cadre de la réhabilitation des villes de banlieue. Le leader du projet, Jérôme Narvaux, avec qui elle entretient des liens cordiaux, semble enclin à appuyer son dossier, qui pourrait rapporter au quartier une soixantaine de millions d’euros. Mais quelques jours avant l’annonce, l’homme rechigne à l’aider, à cause d’un groupe de locataires réfractaires qui refusent de payer leurs charges tant que les locaux ne sont pas rénovés. Clémence réussit à négocier un deal avec Narvaux : si elle parvient à récupérer la plus grande partie des sommes dues et à calmer les habitants, il doit s’engager à appuyer son dossier auprès du Premier Ministre. Dans le cas contraire, le projet sera définitivement abandonné au profit d’une autre ville.
Avec son bagout et l’aide de son précieux directeur de cabinet, Yazid (Reda Kateb), Clémence réussit à convaincre une partie de ses concitoyens, mais plusieurs personnes intéressées par le projet font tout pour lui mettre des bâtons dans les roues. Par ailleurs, Narvaux ne tarde pas à faire volte-face et lui annoncer le rejet définitif de son projet. En échange, il lui laisse espérer un poste de ministre. Encore de belles promesses, des paroles qui n’engagent que ceux qui les reçoivent. Mais suffisantes pour faire douter cette femme politique et infléchir son engagement.
En revanche, Yazid, qui a grandi dans ces quartiers et veut encore croire au bien-fondé de son action, décide de mener le combat de son côté. L’une, qui se débat au niveau des hautes sphères du pouvoir et des appareils politiques, et l’autre, sur le terrain, vont-ils réussir à tenir la promesse faite aux électeurs? Vont-ils sortir indemnes de cette histoire? Réponse au terme de ce film passionnant.
Pourquoi on vote “pour” ?
Parce que le film de Thomas Kruithof est construit comme un thriller. Un thriller particulier, certes, qui pour une fois ne tourne pas autour d’intrigues criminelles, de flics, de voyous ou d’espions, mais plutôt autour de petites magouilles politiques, d’une certaine détresse sociale et de suspense immobilier, et qui s’avère prenant, haletant et subtilement noir. On retrouve un peu du climat oppressant de La Mécanique de l’ombre, également signé par le même cinéaste, qui nous entraînait au coeur d’un complot politique et des services secrets. Mais on pense aussi beaucoup à l’ambiance de la série Baron Noir, de Zouad Doueri, qui plongeait les spectateurs dans les méandres de la vie politique française, entre joutes électorales, compromis entre familles politiques, luttes intestines pour le contrôle du parti, travail infatigable des conseillers occultes et affaires à régler de façon plus ou moins légale. Mais ici, tout se joue à plus petit niveau, celui des élus locaux.
Thomas Kruithof décrit lui aussi les différentes strates qui composent le paysage politique.
A la base, il y a les politiciens de terrain, les militants ou élus locaux qui vont directement au contact de leurs concitoyens les plus modestes, essayant de trouver des solutions pour satisfaire un maximum d’électeurs potentiels sans grever le budget de la ville.
A cet étage-là, il y a aussi des tentatives d’extorsion ou de copinage pour obtenir des marchés publics, des intérêts crapuleux hostiles au pouvoir en place et faisant tout pour faire capoter ses projets, mais aussi des habitants irascibles, capables de faire basculer une élection sur des détails.
Le niveau haut-dessus, c’est celui d’individus comme Narvaux, qui ne défend jamais les projets en fonction de leur intérêt pour la population, mais uniquement d’un intérêt politique ou personnel. Il s’agit de se faire bien voir par les élites : députés, ministres, Premier Ministre, Président. On abandonne un plan pour un autre plus populaire, on place les individus comme des pions ou des fusibles, sans s’intéresser un seul instant à leur sort ou leurs envies.
Enfin, il y a ces élites que personne ne voit jamais, sauf dans les journaux télévisés. Des personnages inaccessibles, invisibles et injoignables, que les personnes de terrain ne voient quasiment jamais, mais qui prennent les décisions cruciales.
Le cinéaste traite aussi de la difficulté de rester parfaitement intègre et honnête dans ce milieu de requins. Même les politiciens les plus purs se retrouvent vite confrontés à des dilemmes cornéliens. Pour que la stratégie concernant le plan d’urbanisme puisse fonctionner, Yazid incite Clémence à s’appuyer sur un mensonge, ou plus exactement une promesse impossible à tenir. Elle le sait, donc jouer ce jeu, c’est se compromettre, renier la parole faite aux électeurs, commettre une faute politique. Mais si c’est la seule façon de faire valider ce projet, est-ce un risque à prendre?
Quand Yazid se retrouve entraîné malgré lui dans une affaire crapuleuse, Clémence doit elle se passer de lui, comme il le suggère, où doit-elle céder à l’intimidation et accepter la logique de corruption pour mieux s’appuyer sur son meilleur élément?
Et quand on lui laisse entrevoir un poste de Ministre de la Ville, Clémence doit-elle abandonner son plan d’urbanisme local pour mieux agir en tant que Ministre?
Le film montre bien les sacrifices exigés par la vie politique, et le peu de reconnaissance gagné. Au final, les logiques d’appareil continuent, les élites politiques continuent de rester sourdes aux plaintes de leurs concitoyens d’en-bas, les intérêts carriéristes sont préservés. Mais parfois, il y a de petites victoires, des sacrifices qui en valent la peine. Faire des promesses, dans ce milieu, est chose fréquente. Les politiciens en font à la pelle pour séduire l’électeur. Elles sont le plus souvent vides de sens et destinées à ne pas être respectées. Mais tenir une promesse est une chose rare, donc précieuse, et ceux qui y parviennent sont dignes d’attention.
Au final, plus qu’un film politique, Les Promesses dresse le portrait de deux êtres humains formidables, qui pensent que le bien de la collectivité prime sur leurs intérêts personnels et que le plus important est de rester fidèle à ses valeurs et ses engagements. Il fallait des acteurs formidables pour les incarner. C’est chose faite avec Isabelle Huppert et Reda Kateb, qui forment un duo très complémentaire à l’écran, chacun jouant sur ses qualités et sa sensibilité pour porter son personnage.
La mise en scène de Thomas Kruithof ne fait pas dans l’esbrouffe mais reste sobre, efficace. Elle réussit à générer la tension nécessaire pour dynamiser le récit, et parvient constamment à trouver le bon tempo.
On ne sait pas encore si les spectateurs choisiront ce film sur la machine électronique de leur cinéma multiplex préféré. En tout cas, nous, on vote pour Thomas Kruithof, sa réélection pour un 3ème mandat en long-métrage et on fait campagne pour dire tout le bien qu’on pense de ce beau film, d’ores et déjà une des belles surprises de la Mostra 2021.
Contrepoints critiques
”La francesa #LesPromesses explica con gran eficacia las razones de la desafección política de la sociedad occidental, pero no evita darnos un poco de esperanza. Aún hay mujeres y hombres que creen en la política como servicio público. Excelentes Huppert y Kateb.”
(Sergi Sánchez – @sergisssss45 sur Twitter)
“Thomas Kruithof’s movie, in an attempt to create a fresco of all the elements listed above, turns out to be confused and dispersed in its political minutiae and in story that is ultimately not very exciting for a House-of-Cards style political drama as it was supposed to be.”
(Ettore Dalla Zana – Letterboxd)
Crédits photos : Photos fournies par la Biennale Cinema – 24 25 films, Wild Bunch, France 2 Cinema, Elle Driver